Critique de la pièce Je t’écris au milieu d’un bel orage au TNM
Par : Annie Dubé
Je vais vous dire un secret. Je savais depuis l’année dernière, en voyant annoncée cette pièce à venir au TNM, que je tomberais sous le charme de Je t’écris au milieu d’un bel orage. Pas parce que c’est Anne Dorval et Steve Gagnon qui interprètent les rôles de l’actrice Maria Casarès et de l’écrivain Albert Camus. Pas parce que j’aime bien les orages. Simplement, car tout dans l’idée de cette correspondance amoureuse marque ce qui manque à l’époque, c’est-à-dire, l’intime.
Je n’ai pas été déçue par ces mots qui résonnent, pleins de vie sur papier, et qui prennent leur envol devant nos yeux émus, rieurs, empathiques, envieux. La sensualité qui se dégage de ces échanges, parfois carrément intellectuels, est à mon sens l’ultime poésie humaine.
Splendide, Anne Dorval incarne celle qui fut l’amante du grand Camus. La comédienne chouchou des Québécois sait à la fois exprimer la nervosité du personnage et son rapport admiratif aux mots qu’incarne ce récit personnel. On sent chez Casarès une présence bienveillante bien avant un langage, alors qu’elle admire pourtant infiniment la plume, habilement brillante, de son cher correspondant lettré. Voilà la recette inimitable d’un événement imprévisible, d’une rencontre unique.
Entre deux fausses cigarettes, le couple (qui n’en est pas un, mais dont la proximité est aussi délicate qu’une feuille de papier et aussi forte qu’une enveloppe qui voyage au bout du monde) nous emporte avec lui dans ses rêveries les plus biographiques.
Steve Gagnon, pour sa part, rend attachant Camus, de par son intelligence et par son sincère intérêt envers celle à qui il songe dans ses moments d’éveil, entre deux fièvres du 20e siècle. Deux têtes et deux coeurs se révèlent dans cette co-existence éphémère, déployée sur l’horizon.
Un amour récité en canon
La mise en scène éclatée et simple s’inspire de manière hybride d’un format d’entrevue télé, archivée et diffusée sur scène, entre l’intime et le public. Casarès nous emporte avec elle, dans ce grand croisé entre deux âmes humaines. Cette valse des lettres et des corps s’entremêle, sans autre musique que celle des éléments qui se déchaînent dans le ciel de leurs vies.
Un décor sans trop de fla-fla reproduit efficacement plus une décennie d’intériorité, quelque part entre un grand lit, une loge, un hôtel, et un meuble où sonne un téléphone dans le silence de l’autre parole. Ce sont deux humanités entières qui se complètent entre ces pas chassés, où vulnérabilité, tendresse, respect et admiration se font sentir du bout des lèvres, comme deux paroles qui s’embrassent à distance.
Il n’y a pas à dire, cette œuvre unique semble intemporelle et d’une autre époque à la fois, se contrastant avec les relations jetables des Tinder de ce monde, dans la durée du temps long, condensé en deux heures sur les planches.
Un sanglot dans la salle? Oui, c’était peut-être le mien. Ces deux amoureux, touchés par le divin de l’autre et la tragédie inévitable du deuil, méritent de faire rêver les vivants afin que l’amour inconditionnel, mais non fusionnel, soit de nouveau une inspiration de la relève humaine.
Cette correspondance, je vous la souhaite. Cette rencontre, entre la plume et la page, forme un bel ouvrage d’esprits libres.
Jusqu’au 19 février 2023, c’est un amour à vivre, seul ou accompagné, au théâtre de la vie.
D’après Correspondance (1944-1959) par Albert Camus et Maria Casarès © Editions Gallimard
Idéation et adaptation de Dany Boudreault
Mise en scène Maxime Carbonneau
Interprètes : Anne Dorval et Steve Gagnon
Production Théâtre du Nouveau Monde en collaboration avec La Messe Basse
Crédit de couverture : Yves Renaud
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