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Sur les traces de Pauline Julien

La Renarde aux Francos de Montréal

© Courtoisie Benoit Rousseau / Francos de Montréal

Par Maxime D.-Pomerleau

Elles sont arrivées si fières et triomphantes qu’on s’est retenu de leur donner une ovation debout drette en partant. C’est qu’il en a vécu ce spectacle depuis deux ans, et surtout dans la dernière année; un Théâtre Maisonneuve plein aux Francos 2018, une reprise au Théâre Outremont pleine, un album et une petite tournée québécoise plus tard, le spectacle La Renarde, sur les traces de Pauline Julien clôt son aventure à la Maison symphonique aux Francos 2019. C’est la cerise sur le sundae de succès de la production, propulsée par l’audace et la sensibilité de son idéatrice et metteure en scène Ines Talbi.

13 femmes de toutes disciplines et de toutes générations, qui ont côtoyé intimement Pauline Julien ou non. Erika Angell, Émilie Bibeau, Isabelle Blais, Fanny Bloom, Sophie Cadieux, France Castel, Frannie Holder, Louise Latraverse, Amélie Mandeville, Queen Ka, Virginie Reid, Ines Talbi et Laurie Torres. Samedi elles célébraient une icône et un Québec d’un autre temps, qui a « la musique comme sève et les mots comme forêt ».

© Courtoisie Benoit Rousseau / Francos de Montréal

Chanter le territoire

Avec L’étranger et Les gens de mon pays qui se font écho, les mots de la slammeuse Queen Ka (Elkhana Talbi, la sœur) prennent un nouveau sens, le visage de l’étranger ayant en fait peu changé depuis les années 70. Il ferait bon de redécouvrir cette pièce qui donne un visage humain à l’immigration et aspire à cette utopie de créer un monde où il n’y aurait plus d’étrangers. Qui n’a pas repris à sa sauce La Manic, célèbre chanson de Georges Dor? Pauline Julien a bien sûr laissé sa marque sur ce texte de 1966 ancré dans le territoire, témoin de l’époque des grands chantiers hydroélectriques. Finalement, Le plus beau voyage nous rappelle de quoi les Québécois de vieille et récente souche sont faits; de roches, de lacs et de rivières oui, mais surtout de résilience. Les paroles de Claude Gauthier résument en quelques mots cette vision du Québec comme société distincte :

Je suis d’Amérique et de France
Je suis de chômage et d’exil
Je suis d’octobre et d’espérance
Je suis une race en péril

© Courtoisie Benoit Rousseau / Francos de Montréal

Chanter l’Histoire

Dès les premiers mots de la Litanie des gens gentils, Isabelle Blais nous fait faire un saut dans l’histoire. Cette complainte du travailleur canadien-français écrite par Pauline Julien témoigne bien d’une réalité qui nous semble lointaine, une époque où la religion et la domination anglo-saxonne pesaient sur un peuple « né pour un p’tit pain » jusqu’à devenir… « aplatis ». Comme accroche à un pot-pourri As-tu deux minutes?, ce texte de Michel Tremblay et Pauline Julien, amené par Louise Latraverse. On reconnaît aussitôt la signature rythmique de Tremblay, qui se prête bien aux choeurs, et on glisse dans l’univers des cabarets et du music-hall avec ses textes franglais. Un segment coloré et dynamique mettant en relief les textes de Réjean Ducharme, Jacques Perron et Gilles Vigneault.

Et puis la pièce de résistance; Mommy. Une performance poignante d’Ines Talbi, qui trafique les noms de famille et ceux des villes, y inclut la berceuse Fais dodo, Colas mon p’tit frère en y révélant au passage quelques vers en arabe. Ce faisant, elle s’approprie totalement la chanson, comme Émile Proulx-Cloutier l’a fait en chantant une partie de Mommy en abénaquis. Cette relecture de la pièce ne lui fait perdre aucun galon, bien au contraire; elle se déploie et résonne plus pertinente que jamais.

© Courtoisie Benoit Rousseau / Francos de Montréal

En ce sens, tout le spectacle est un souvenir de cette époque où l’affirmation du fait français était au cœur de la question identitaire, souvent mise de l’avant dans les textes de Julien. Le féminisme était également présent, toujours en trame de fond mais gagnant parfois l’avant-scène. Une sorcière comme les autres permet d’entrevoir l’étoffe de diva de Fanny Bloom sur ce formidable texte d’Anne Sylvestre, grande amie et collaboratrice de Pauline Julien. L’échange humoristique des Gémeaux croisés entre Émilie Bibeau et Sophie Cadieux fait rire et grincer des dents. Un autre beau moment de théâtre où les actrices renforcent leur complicité avec le public.

L’interprétation folk de Suzanne par Erika Angell, traduction de Gilbert Langevin de la pièce de Leonard Cohen, amorce un segment plus déposé du spectacle, parsemé de problèmes de son. Outre le grichage récurrent, on peinait à entendre Frannie Holder dans Au milieu de ma vie, enterrée par la batterie de Laurie Torres. La sobriété de la lecture des lettres de Pauline Julien, dit la Renarde, à Gérald Godin, enrobe les mots plutôt que de les scander, nous permettant de mieux saisir la profondeur de l’amour et de l’engagement de ce couple historique.

© Courtoisie Benoit Rousseau / Francos de Montréal

Cet hommage s’inscrit dans une mouvance de (re)découverte des piliers de la culture québécoise francophone, notamment pour une génération d’artistes et de spectateurs plus jeunes. Un peu comme l’a fait le collectif 12 hommes rapaillés avec Gaston Miron (présenté à la Maison symphonique puis aux Francofolies en 2014), La Renarde souligne avec finesse le caractère entier et intarissable de l’oeuvre de Pauline Julien. Une sorte de devoir de mémoire, un désir de connecter le maintenant avec « l’avant » et de reconnaître, dans le chemin parcouru, son immense apport à la culture.

On retiendra ces derniers mots, offerts en passation symbolique au Choeur JFP, future relève musicale et citoyenne : « Morte ou vivante. Pauline Julien. Je me souviens. » Merci à toutes ces Renardes de faire vibrer la parole de cette grande artiste aux quatre coins de son pays.

Ordre des chansons :

Je vous aime
Litanie des gens gentils
L’étranger
La grenouille
Une sorcière comme les autres
As-tu deux minutes?
Louanges
Mash-up (Faudrait, Ah! que l’hiver, Jack Monoloy, Bilbao Song, Croqueuse 222)
Est-ce ainsi que les hommes vivent?
Mommy
Au milieu de ma vie
Les gens de mon pays
Gémeaux croisés
Rien qu’une fois faire des vagues
La Manic
Suzanne
Lettres
L’âme à la tendresse
Le plus beau voyage
Urgence d’amour

#FrancosMTL

© Courtoisie Benoit Rousseau / Francos de Montréal