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N’essuie jamais de larmes sans gants : leçons d’empathie

Pleurer ensemble les morts d’une autre pandémie oubliée

N’essuie jamais de larmes sans gants
Crédit photo : Stéphane Bourgeois

Par : Annie Dubé

La pièce N’essuie jamais de larmes sans gants est arrivée chez Duceppe et ce jusqu’au 17 décembre 2023. Hymne à la tolérance et coup de poing envers la mémoire qui oublie trop facilement certaines souffrances historiques, ce spectacle basé sur le livre  culte de Jonas Gardell, et dont le texte fut adapté pour la scène par Véronique Côté risque de secouer beaucoup de monde ont connu de près ou de loin les drames humains causés par la pandémie de sida dans les années 80 et 90.

L’histoire, mise en scène par Alexandre Fecteau et produit par le Trident, suit les périples de Ramusc(Olivier Arteau), un jeune suédois qui quitte la campagne pour aller s’établir dans la grande ville de Stockholm, avec comme seul espoir d’enfin devenir lui-même.

La pièce après le roman de Jonas Gardell
Crédit photo : Stéphane Bourgeois

Au fil de ses rencontres et de ses amours, on fait la connaissance d’attachants personnages qui deviendront sa famille adoptive. Sa relation avec le puceau Benjamin ( Maxime Beauregard-Martin) devient le fil auquel on s’accroche.  Parmi ce groupe d’orphelins de la société, le personnage exubérant de Paul (Maxime Robin) fut particulièrement attachant en tant que mère poule du groupe, ajoutant un peu de festivité et d’humour à ce groupe à la recherche de chaleur humaine, en plus de créer certains malaises, très apprécié du public, d’ailleurs.

Ceux qui espéraient vivre librement la suite de la libération sexuelle et assumer leur marginalité plongent dans leur rêve qui tournera dans un cauchemar de santé publique et surtout, d’inhumanité.

L’amour, le sexe, le déclin, puis la mort

Bien que la sous-culture représentée ici frôle peut-être le cliché de la promiscuité d’une époque insouciante disparue, on ne peut douter que le sida aura changé comment l’on perçoit désormais les dangers de la transmission des fluides, et ce, malgré que les choses ont changé depuis l’arrivée de traitement qui changent la vie des gens séropositifs.

Une leçon d'empathie au Théâtre Duceppe
Crédit photo : Stéphane Bourgeois

À voir la réaction du public, largement constitué de gens de la communauté LGBTQ+, la pièce était presque une cérémonie, entre les rires gras du voisin (vocal mais heureux!) derrière moi, et les pleurs soutenus d’une autre inconnue. Les deux voisines de droite ont quitté à l’entracte sans dire mot, leur raison demeure donc un mystère entier pour tous les autres qui ont chaleureusement applaudi le jeu des acteurs qui, le temps d’une soirée, étaient devenus nos amis au fil de leurs aléas.

Une histoire profondément humaine et réelle

Bouleversante, cette pièce de 3h30 avec entracte nous noie progressivement dans les larmes qui pleuvent sur la scène. Sanglots de mise, rires, réflexions et possibles malaises de nudité frontale et de blagues de jeunes mononcles / matantes, voilà sans aucun doute une pièce différente qui, comme les blocs d’une grande pyramide sur la scène, nous bouge profondément et nous confronte à la grande question : quelle humanité nous habite, et comment aurions-nous réagi à l’époque devant cette grande peur de la contamination par la différence?

Le déchirement des familles, le rejet médical, la haine sociale. La société a-t-elle beaucoup changé?

N’essuie jamais de larmes sans gants au Théâtre Duceppe
Crédit photo : Stéphane Bourgeois

La présence sonore et physique d’un petit orchestre sur la scène sert la pièce, mais par moment les micros des acteurs qui narrent étaient plus ou moins audibles, enterrés sous la musique. Dommage! Malgré tout, le coeur a ressenti l’intention de ces mots non entendus.

À ne pas manquer pour les spectateurs qui ont perdu des êtres chers par cette maladie presque oubliée de nos récits collectifs.

Crédit de couverture : Stéphane Bourgeois

D’après le roman de Jonas Gardell

Traduction Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach

Adaptation Véronique Côté

Mise en scène Alexandre Fecteau

Direction musicale Anne-Marie Bernard

Interprétation Olivier Arteau, Maxime Beauregard-Martin, Gabriel Cloutier Tremblay, Véronique Côté, Laurent Fecteau Nadeau, Hugues Frenette, Érika Gagnon, Jonathan Gagnon, Israël Gamache, Samuel LaRochelle, Carla Mezquita Honhon, Maxime Robin, Anne-Marie Bernard (pianiste), Marie-Loup Cottinet (violoncelliste), Jean-François Gagné (violoniste), Karina Laliberté (altiste)

Assistance à la mise en scène Elizabeth Cordeau Rancourt

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