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Catarina et la beauté de tuer des fascistes

Juste nécessaire

Crédit photo : Joseph Banderet

Par : Jean-Claude Sabourin

L’été étant bien en selle, je suis allé voir la pièce écrite par le portugais Tiago Rodrigues, Catarina et la beauté de tuer des fascistes, sans faire mes devoirs. J’ai préféré planter mes fleurs plutôt que de faire un peu de recherche sur l’œuvre présentée au Théâtre Jean-Duceppe. J’étais prêt à tout, mais pas nécessairement à ça.

À l’arrivée à la salle de spectacle, quelque chose titille mon œil, la présence de plusieurs agents de sécurité. Étrangement, dans notre univers hyper-sécuritaire, je ne me pose aucune question, l’image sur ma rétine s’envole et l’esprit l’efface aussitôt. À l’intérieur, sur la scène, des acteurs sont déjà présents, toutes et tous vêtus de vêtements traditionnels féminins. Leur présence précoce n’apporte, ni n’enlève quoi que ce soit au récit.

Les lumières s’éteignent et l’histoire commence

Les dialogues n’ont pas été traduits, sauf sur un écran dans le haut du décor qui les défilent en français et en anglais. Un moment d’adaptation est nécessaire. Je réalise que je ne goûterai pas pleinement à la pièce, captif de cette traduction qui nécessite mon œil. Bon, on est au Festival Trans-Amériques, il faut bien s’y faire.

Le récit nous décrit un rituel matriarcal qui s’opère depuis 74 ans, ayant pris naissance alors que le fascisme régnait pleinement au Portugal. Vous l’avez compris, à chaque année, la famille élimine un fasciste. Le tue, l’enterre et plante un chêne-liège sur son corps. Voilà, la machine est bien huilée et le tout s’effectue dans une espèce de fête.

Toutefois, devant nous, un grain de sable vient s’incruster dans l’engrenage. La jeune femme à qui c’est le tour de tuer, car elle a atteint l’âge pour y participer, n’arrive pas à appuyer sur la gâchette. Un dilemme moral germe en elle au grand dam de la famille.

Crédit photo : Joseph Banderet

S’amorcent alors un argumentaire et contre-argumentaire plus didactiques que divertissants. En bon élève, j’ai trouvé du plaisir à écouter ces exposés tous valables, même si ça ne résonne pas encore vraiment en Amérique du Nord. Évidemment, des deux côtés de notre frontière, commencent à apparaître des tribuns populistes et véhéments, mais on n’a pas encore beaucoup d’expérience avec le fascisme.

Ainsi, la pièce se déroule sur un ton relativement monotone, dans une famille qui paiera chère l’entorse à sa tradition. Le fasciste qu’ils avaient prévu éliminer survit donc à sa mésaventure et sera en mesure de clore le spectacle avec un discours de son cru.

Crédit photo : Joseph Banderet

C’est à ce moment que la pièce prend tout son sens. Surtout pour un non-européen comme moi qui n’a pas beaucoup entendu de discours du genre. Ok, on a bien eu les chemises brunes au Québec, mais c’était à une époque lointaine que je connais mal. Or, l’allocution dérange.

On assiste à un déballage progressif d’idées de droite et d’extrême-droite, qui s’étire. Ma virginité à l’égard de la pièce me rend dubitatif quant à ce que je dois faire comme spectateur. Tellement que j’en parle à une dame assise à mes côtés. Ce n’est pas que je suis imperméable à toutes notions de droite, mais il y a des foutues limites.

Devant cet étalage logarithmique d’insanités, quelques personnes dans la salle chahutent, mais la plupart regarde sans broncher, peut-être trop surpris par cette finale inattendue. Quant à moi, j’ai simplement décider de quitter la salle, à l’instar de quelques autres spectateurs. De l’autre côté des portes, je vois les agents de sécurité qui se demandent s’ils doivent entrer maintenant. Je comprends maintenant leur présence. La finale choque et on peut s’attendre à des dérapages.

Je ressens de la culpabilité de n’être pas resté jusqu’à la fin, surtout dans un contexte de chroniqueur culturel. Néanmoins, il m’était impossible de ne rien faire. Comment ne pas réagir lorsque l’on voit des personnages patauger avec des incertitudes d’ordre moral, alors que le fasciste ne se soucie de rien qui touche l’humanité et vomit des horreurs.

La pièce nous fait prendre conscience qu’il n’est peut-être pas « beau » de tuer des fascistes, mais, avant qu’il prenne des proportions incontrôlables, il est absolument nécessaire de tuer le fascisme.

Catarina et la beauté de tuer des fascistes est à l’affiche jusqu’au 28 mai au Théâtre Jean-Duceppe.