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Pisser debout sans lever sa jupe

Multitude solitudes

Huge B l'effort pisser debout sans lever sa jupe
Crédit photo : Hugo B. Lefort

On y nomme les différences. On y expose des corps, des genres, des individualités se juxtaposant dans un éventail de diversités, entourés de vulnérabilités disparates, où rien ne se touche, rien ne se créer. Voilà les premières impressions fugaces que laissent la pièce Pisser debout sans lever sa jupe présentée au Centre du Théâtre D’Aujourd’hui jusqu’au 4 mai prochain.

Le texte d’Olivier Arteau nous dépeint une génération aux prises avec le luxe de se questionner et de se choisir. Possibilités risquées, qui ne semblent pas mener nécessairement vers l’émancipation heureuse. Aux questions peuvent venir des réponses insatisfaisantes; au choix, l’incertitude. Tout ça agissant comme un atomiseur social où chaque personne se retrouve dans une petite boîte, avec une sexualité particulière à satisfaire.

La pièce montre comment la marginalité marginalise. Comment elle déshumanise. Comment elle nourrit des formes de rancœur et de honte. On y fait beaucoup référence à l’orientation sexuelle, telle une discussion dans les tavernes d’antan, transformée en conversation BCBG, mais toujours avec des mots parfois trop forts, avec un autre considéré comme un objet sexuel et des émotions exacerbées.

Cette analogie avec les anciens débits de boisson n’est pas anodine. En effet, la mise en scène de M. Arteau et sa collègue Lucie Constantineau a quelque chose de « vintage »; un amalgame des « Belles-sœurs » de Tremblay/Brassard et de « L’Osti d’show » de Charlebois et al. Un choix étrange quand on y pense. À la fois fracturé et rassembleur.

Place des Arts
Crédit photo : Hugo B. Lefort

On ne peut s’empêcher de réfléchir à cette pièce à la lumière de l’œuvre théâtrale de Michel Tremblay. On y voit de fortes similitudes en matière d’incommunication entre les individus, de fractures entre ceux-ci et leur entourage, ainsi que d’un monde marginal sans pitié. Chacun cherchant une place, ici avec un objectif plutôt symbiotique, chez Tremblay juste prépondérante.

Une autre comparaison apparaît avec le travail du grand dramaturge québécois : le choix de la langue. Tremblay avait choqué avec son utilisation du « joual ». Ici, on utilise l’anglais abondamment. Dans les deux cas, il s’agit juste d’un portrait fidèle de ce qui se parle dans la rue, qui va à l’encontre de ce que l’on souhaiterait dans la bouche d’un personnage de théâtre francophone.

Là s’arrête la comparaison, car de nos jours on a tendance à enrober les choses culturelles d’une couche « Oprah-Winfreyesque ». Tout s’expose sous l’angle des fragilités. Celles-ci deviennent une force, un moteur pour l’action. Une approche qui donne, on doit bien l’avouer, des moments d’émotions vraies. Je pense à l’extraordinaire prestation de Fabien Piché. Pour utiliser une expression totalement mercantile, ça vaut le déplacement.

Pisser debout sans lever sa jupe
Crédit photo : Hugo B. Lefort

Néanmoins, il est particulièrement affligeant de constater qu’à la solitude de source sociale, que l’on dépeint chez Tremblay par exemple, s’ajoute un isolement plus profond, attaché à l’essence des personnes, leur sexualité. Les « tout seul ensemble » de Fiori ou Cormier prennent ici tout leur sens et l’on sent dans cette pièce un trajet nous menant plus loin dans cette direction.

Le spectacle comporte bien une tentative d’espoir, un désir pédagogique, mais tout compte fait, je ne vois pas dans la pièce de quoi combler la fracture sociale qui se creuse à mes yeux. Tout ça pour dire que Pisser debout sans lever sa jupe peut laisser à sa sortie un goût amer et triste dans la bouche. Alors que jadis nous discutions des deux solitudes, je me sens maintenant aux prises avec une multitude de celles-ci.

Le reste de la distribution est composée de Ariel Charest, Laurence Gagné-Frégeau, Lucie M.Constantineau, Jorie Pedneault, Vincent Roy, Zoé Tremblay-Bianco et Sarah Villeneuve-Desjardins. Les billets sont en vente au Théâtre d’aujourd’hui.