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On vous présente : Fred Labrie

Fred Labrie, un artiste émotif et attachant

© Jean-François LeBlanc, Francouvertes 2017

Par : Myriam Bercier

MatTv vous offre encore et toujours la chronique On vous présente, qui a pour objectif de vous présenter des artistes qui passent sous le radar de la musique populaire. Voici le onzième sujet de ma chronique : Fred Labrie.

Fred Labrie est un auteur-compositeur-interprète dont les racines sont mêlées entre Montréal et Sainte-Julie. Cela confère à sa musique sa puissance, son énergie brute, sa mélancolie et sa candeur poétique. Le musicien sait attraper la beauté subtile des choses modernes. Ses textes puisent dans une urgence de vivre, provoquée par l’anxiété qu’il ressent au quotidien. Il offre un folk alternatif qui oscille entre force et mélancolie.


© Photo de courtoisie

Il a participé à de multiples concours, dont Petite-Vallée duquel il a obtenu le prix du public en 2016 ou encore UQAM en Spectacle qu’il a gagné deux fois. Il a lancé en 2012 son premier EP, Bruits sourds, suivi en 2015 de son premier album Dans la fumée claire. Son deuxième album, Inventer des falaises, verra le jour demain, le 19 juin 2020, après un lancement virtuel ce soir à 20h. On peut s’attendre à un album plus sensible et personnel, abordant son intérieur et ses états d’âme, ce qu’on a déjà pu constater avec Anca, le premier extrait paru pour ledit album.

Je l’ai donc appelé le mardi 16 juin pour lui piquer un brin de jasette. On a parlé notamment d’école (ben oui!), d’anxiété, de concours et de méthode d’enregistrement pour l’album! Spoiler alert : c’est le premier artiste depuis Dave Chose à avoir trouver une question à se poser lui-même sans que je lui envoie par courriel.

 

Myriam : Qu’est-ce qui t’a amené à faire de la musique?
Fred : C’est une très bonne question au large éventail de réponses! En fait, j’ai commencé il y a très longtemps, au secondaire, à prendre des cours de guitare. Je pense que ma première chanson c’était About a girl de Nirvana. À partir de ce moment-là je n’ai jamais dérogé de cette ligue, j’étais conquis par la guitare. En fait, j’ai commencé mon premier groupe vers 19 ans et après ça, avec ce groupe-là, on a fait des spectacles, c’était un groupe un peu plus rock progressif. Par la suite ce qui s’est passé c’est que j’ai été au Cégep Marie-Victorin en musique pour étudier en guitare jazz ce qui a fait en sorte que j’ai formé mon premier band et on a fait Cégep Rock cette année-là. On s’est rendus en finale nationale […]. C’était avec mes chansons, à partir de là je me suis dit qu’avec mes chansons je peux faire quelque chose, il y a une réponse. Je pense que l’objectif après c’était juste de dire… j’ai toujours tripé sur la poésie, j’ai toujours aimé ça et c’était comme une manière de s’exprimer, donc j’ai décidé de continuer dans cette optique-là, de continuer de dire des choses avec un band. C’était important pour moi l’esprit collectif aussi. Je pense que la musique c’est ce qu’on peut vivre en band, mêlé à ce qu’on peut dire avec les mots, tout ça ensemble. Le parcours a été long après, sans passer à travers de tout ça, je dirais que ça a été le point d’ancrage.

Myriam : Tu viens de le dire en fait, mais moi j’avais lu aussi que tu as étudié en musique au cégep et à l’université, qu’est-ce que cela a apporté à ta musique selon toi?
Fred : En fait j’ai étudié en guitare jazz. Il y avait aussi des cours de chant et des cours de piano, donc j’ai un peu étudié tout ça. J’ai aussi fait l’École nationale de chanson au travers de tout ça. Je pense que tout ça, ça a été beaucoup de l’exploration de la guitare parce qu’au final ce n’était pas vraiment le jazz qui m’allumait le plus, même si je trouve ça toujours aussi intéressant. C’était pas ça qui était ma tasse de thé. Moi en fait ce qui m’interpellait le plus c’était vraiment de désaccorder des guitares d’une certaine manière pour pouvoir explorer le manche de la guitare autrement. C’est pour ça que dans mes chansons souvent… quand je dis désaccorder, on appelle ça désaccordement alternatif, en anglais c’est des alternate tunnings, ce qui fait en sorte qu’en changeant des cordes, on peut avoir des accords ouverts, jouer des mélodies au travers qui font différentes extensions, ça donne une certaine richesse. Donc ça m’a permis d’explorer l’instrument, mais ça m’a aussi permis de faire des rencontres à chaque fois. À l’UQAM, entre autres, j’avais rencontré d’autres musiciens, on est allé faire UQAM en Spectacle, on avait gagné deux années de suite, encore là avec mes chansons. C’est souvent dans ces rencontres-là que j’ai réussi à évoluer, à m’améliorer et aussi disons à répandre de plus en plus ma musique. L’École nationale de la chanson, ça c’était vraiment absolument très constructif avec tous les professeurs qu’il y avait! il y avait Robert Léger, Marie-Claire Séguin, il y a eu Vincent Vallière à un moment donné. C’est surtout l’espèce de confrontation entre ce qu’on fait et être capable d’aller au-delà de nos habitudes et d’apprendre à se … pas réinventer, on n’aime pas ce mot-là! Apprendre à disons à évoluer et à explorer d’autres avenues. Je pense que les rencontres, les musiciens que j’ai côtoyés et le vocabulaire que ça m’a donné, peaufiner les différents instruments que j’ai travaillés ça m’a permis d’en arriver à un niveau plus professionnel. Je sais pas où je peux mettre le terme, mais disons que ça m’a vraiment permis… je n’ai pas le côté autodidacte en moi. Je pense que je vais toujours rester un enfant de 7 ans qui a besoin d’encadrement, et je pense que c’est pour ça que j’ai été dans les divers programmes de musique, ça a été ma manière d’avoir des cadres, des balises, des vecteurs pour aller d’un point A à un point B.


© Photo de courtoisie

Myriam : Je crois avoir lu aussi que l’anxiété était l’un de tes moteurs créatifs. Qu’est-ce qui t’inspire le plus avec l’anxiété?
Fred : je pense que l’anxiété ce qui me motive c’est que … l’anxiété c’est surtout une sur… c’est comme si on avait une surinformation de plein de choses qui coulent en nous. C’est comme des fleuves trop rapides qui partent à gauche, à droite et on arrive plus à… En fait, dans une de mes chansons, Satellite, je dis «dans mon corps coule des villes bruyantes». C’est pas pour me citer, c’est vraiment juste que cette image résume tout. C’est comme s’il y avait tellement de choses dans ma tête que je suis pas capable de gérer. En fait cette anxiété-là, ce que ça fait, c’est que ça me permet d’avoir beaucoup d’idées, d’avoir beaucoup de choses à dire quand il est temps d’écrire. Après le travail c’est de canaliser tout ça. C’est sûr qu’au départ je voulais pas nécessairement axé ça sur le côté plus vulnérable, mais finalement on m’avait déjà dit que des fois il faut aller dans ce qu’on a de personnel dans notre singularité et de l’exploiter au maximum, c’est un peu ce que j’ai fait avec cet album-là, j’ai pas mis de barrière, pas mis de filtre, j’y suis allé vraiment  à fond dans toute cette surabondance d’information que j’essaie de gérer au quotidien. Ça fait que j’avais beaucoup beaucoup de texte. Souvent dans mes textes de chansons, j’avais quatre ou cinq pages, puis il a fallu que je prenne les meilleures phrases, les meilleures strophes, ça a été le gros travail de défrichage pour en arriver là. Cette vulnérabilité-là avec l’anxiété et cette espèce d’adrénaline-là, je pense que ces deux mots-là, vulnérabilité et adrénaline incandescente, je sais pas comment dire ça, mais on est tellement à fleur de peau et tellement dans des excès de vitesse dans notre tête que tout ça sort à moment donné quand on décide d’écouter ce qui se passe.

Myriam : Tu es également professeur de musique au primaire, considères-tu que ça change ta perspective de la musique, de l’apprendre à la prochaine génération?
Fred : Oui, oui! On apprend en enseignant, ça c’est quelque chose qu’on est tous unanime là-dessus. Des fois, d’enseigner la musique et de voir les répercussions, de voir comment les jeunes le vivent aussi, et comment leurs intérêts ça nous fait souvent réfléchir un peu plus sur ce qu’on fait. J’ai toujours eu une approche avec eux surtout en lien avec la chanson. Je leur parle beaucoup de … Moi en effet quand j’enseigne, j’enseigne beaucoup la guitare, le ukulélé, le piano, j’enseigne la batterie d’une certaine manière : c’est du PocketDrum qu’on appelle avec des baguettes de batterie, ils ont tous ça. J’essaie de montrer des différents instruments pour former des band éventuellement, je leur parle de poésie, je leur parle de piétage, de versification même s’ils sont jeunes, je veux qu’ils comprennent le concept de comment on crée une chanson. Je leur fais explorer la chanson québécoise sous toutes ses couleurs. Souvent je leur fais créer des chansons. Je pense que ce soit juste ancrer davantage, j’utilise beaucoup le terme ancrer, mais je l’aime bien. Mais ancrer davantage. Ce que j’aime de la musique c’est vraiment autour de la création et autour de l’expression en fait, c’est un peu autour de ça que je tourne avec eux.


© Photo de courtoisie

Myriam : Des Francouvertes à Petite-Vallée en passant par Université en spectacle, tu sembles avoir fait tous les concours possibles au Québec! Pourquoi avoir participé à autant de concours?
Fred : Des fois on a besoin de leitmotiv, d’espèce de locomotive pour nous traîner vers l’avant parce que  sinon tu es dans un flou, on se dit «mais là ma carrière entre guillemet, ou est-ce qu’elle s’en va?» On essaie souvent de se faire découvrir. On a notre musique mais il y en a tellement d’artistes de qualité au Québec, c’est une ressource naturelle très abondante, c’est des artistes de qualité. Moi j’ai plein d’amis auteur-compositeur-interprète qui font de l’excellente musique mais on n’est souvent pas sous les projecteurs parce qu’il y en a une masse. Donc moi je pense que ces concours-là c’est parce qu’on veut se faire découvrir, on veut que les gens tendent l’oreille vers notre musique. Des fois on a besoin de tape dans le dos. J’ai écrit d’ailleurs une chanson, La loi du plus fort, sur l’album qui va sortir, ça parle des concours, ça parle des coups durs qu’on reçoit, des moments où on doute et qu’on se met à ramper au sol parce qu’on est en train de douter que ce qu’on fait, ça fonctionnera pas, et finalement il arrive ces tapes dans le dos-là, ces prix qu’on gagne, des rencontres qu’on fait, du monde qui nous dise «non non ce que tu fais ça a vraiment beaucoup de valeur, continues.» Des fois on va chercher aussi sans dire l’approbation on va chercher un petit peu d’élan, ouais c’est ça, de l’élan. On va chercher aussi beaucoup des rencontres avec les autres artistes, c’est souvent ça. C’est plein de vitalité les concours à ce niveau-là, malgré que ça peut aussi écorcher un peu quand même, mais c’est surtout la richesse des gens qu’on va rencontrer en région. À Sainte-Ambroise, je me suis rendu loin, aussi au Cabaret Festif de Baie-Saint-Paul on se rendait là et on rencontrait le public qui nous connaissait pas mais ils sont intéressés. C’est ce qui est le fun de ces concours-là, souvent il y a beaucoup les gens intéressés à découvrir. La vie devrait être un concours en tout temps, tout le monde devrait être toujours intéressés à rencontrer des nouveaux artistes. C’est un peu pour ça. Je dirais que là les concours je prendrais une petite pause, j’irais vers une carrière plus stable, plus dans l’émancipation des albums qu’on lance.

Myriam : Tu devais lancer ton troisième album, Inventer des Falaises, le 15 avril 2020. Je comprends qu’avec le confinement et le coronavirus, c’est devenu plus compliqué, mais pourquoi avoir décidé de repousser le lancement au 19 juin?
Fred : Dans le fond, pourquoi le faire quand même?
Myriam : En fait, pourquoi pas l’avoir fait à la date prévue? Dans le sens où il y a plusieurs artistes qui ont respecté leur date de lancement, donc je me demandais pourquoi toi tu avais décidé de le repousser. Ça a l’air d’être un jugement, c’est vraiment pas un jugement. Je me demande juste pourquoi toi tu ne l’as pas lancé le 15 avril comme prévu et que tu as pris deux trois mois de plus finalement pour le lancer?
Fred : Ah ok je comprends! Je le prends aucunement comme un jugement, je comprends la question! En fait, je pense qu’au départ, comme tout le monde, pas vraiment au fait de ce qui se passait et tellement dans un flou. En fait, ma gérante m’a demandé si je voulais le faire quand même, j’ai dit non parce que moi je veux vraiment… dans ce temps-là je comprenais pas ce que c’était le streaming et tout ça, je ne voulais pas le lancer en envoyant l’album et en faisant des vidéos de chez moi tout seul dans mon salon parce que l’état du confinement était très sévère, c’était pas possible de jouer avec un band et je connais pas assez la technologie pour faire ça dans mon salon non plus. J’aurais pu avec un téléphone, mais en tout cas j’avais pas un studio et je voulais pas … c’est un album qui a été enregistré en band, qui sonne quand même assez band et qui a besoin de tous ses instruments. Je me suis dit que j’allais attendre soit que si les salles ouvrent à nouveau, ça va être merveilleux parce qu’on va pouvoir faire un vrai lancement, mais la tendance dans ce temps-là je la connaissais pas. Mais là, avec les semaines, on s’est rendu compte que le spectacle comme on le connait, extérieur, ça va prendre un méchant bout. On avait un show extérieur au mois de juin qui a été annulé, c’était devant un assez grand public, c’était des shows d’été pour une ville et finalement on s’est dit si ça s’est annulé il n’y aura pas mille solutions, il faut qu’on en fasse un en streaming live. Depuis le début juin, on voyait que la tendance s’en venait, on a décidé, tout s’est placé avec le studio Madame Wood là où Christian-Adam Gilbert qui a fait le mixage de l’album, il va être à la console, c’est donc parfait, il a déjà l’oreille. Après ça on a trouvé l’équipe de cameramen qui font des merveilles dans ce style-là, c’est 30 images/seconde. Tout s’est placé, puis là on pratique ce soir justement. Ça va être une première depuis je sais pas combien de mois, de jouer de la musique avec d’autres musiciens, je vais sûrement verser quelques larmes de robustesse quand même mais des larmes de joie parce que je vais … je pense que c’est pour ça qu’on le fait, parce qu’on va pouvoir le faire en band ce jeudi.


© Couverture de l’album à venir

Myriam : Comment tu appréhendes ça ta première pratique en band complet? Ça doit tellement être excitant!
Fred : C’est quelque chose! Comme je pratique dans les derniers jours dans mon appartement avec l’ampli un peu crinqué, je sais que je fais beaucoup plaisir à mes voisins en ce moment. C’est un sarcasme, d’après moi ils connaissent mes chansons par cœur. En fait, j’ai croisé mon voisin hier, il m’a dit «ouais, je connais tes chansons par cœur maintenant!» Ça lui dérangeait pas, mais ça veut dire que le son traverse vraiment les murs. Juste avant de monter l’ampli, je me disais «tout ce que je fais là, je vais avoir l’ensemble autour qui va appuyer» parce que c’est souvent se sentir plus fort, se sentir plus cohérent, on dirait que moi c’est de même que je vois ça. J’aime beaucoup la musique. Ben je veux dire, tout le monde aime la musique mais comme j’aime beaucoup la musique dans le fait de faire des chansons. C’est pas juste une guitare, un texte et une mélodie. Moi c’est vraiment, j’aime les arrangements, j’aime l’aspect des superpositions d’instruments qui crée quelque chose, un tout. Je pense que ça me fait beaucoup d’excitation. Je pense qu’on va se rendre compte ce soir et les autres musiciens aussi n’ont pas vécu ça depuis des mois, je pense qu’on va se rendre compte ce soir pourquoi on fait ça de la musique, l’espèce de communication entre nous, on va vivre un beau trip!

Myriam : Tu as enregistré ton deuxième album, Dans la fumée claire, à St-Alexandre-de-Kamouraska, en huit jours, loin de la ville. As-tu emprunté un processus similaire pour Inventer des falaises?
Fred : En fait, je dirais oui. Ça a été quand même similaire, il y a eu une tangente dans ces deux albums. Le premier c’était à Saint-Alexandre, on avait été un huit jours dans le bois assez perdu, c’était fin octobre, il n’y avait pas un chat, c’était dans un studio assez reclus, je pense qu’on pognait pas internet, on était les quatre dans nos bulles. On avait 12 chansons à enregistrer en huit jours. Là on s’est donné un peu plus de temps, on s’est donné deux jours de plus parce que cette fois-là on avait pas dormi je pense plusieurs nuits, on avait même passé une nuit blanche, on dormait deux trois heures par nuit pour arriver à la fin de tout ça. Là, on avait un dix jours, on avait deux jours de plus. On était à l’Isle-aux-Coudres, on nous avait prêté… c’est un couple d’amis musiciens qui nous avait prêté leur maison, c’est en fait Geneviève Jodoin et Fred Boudreault. Geneviève Jodoin, qui est une chanteuse d’immense talent, qui a gagné La Voix aussi il y a un an ou deux. Moi je l’avais déjà rencontré en allant jouer dans son auberge, dans un concours elle était juge. On s’était rencontrés, elle avait bien aimé ce que je faisais, j’avais été joué là, ils sont devenus des amis ce couple-là. Ils m’ont prêté leur maison qui est à flanc de falaise aussi. D’où le titre. En fait, le titre a rapport avec tous les textes, il regroupe tous les textes dans le sens, mais en plus, quand on est allés en studio, il y avait personne sur l’Isle-aux-Coudres dans ce temps-là, je pense que c’était fin septembre, il n’y avait vraiment pas beaucoup de monde, on était juste les quatre à aller enregistrer. Les arrangements, on les avait fait, mais c’était encore embryonnaire, on était encore en exploration pendant ces dix jours-là. Dans les deux cas, je vais terminer avec ça parce que je parle beaucoup, dans les deux cas des albums, il y avait aussi l’espèce de défi de la dernière chanson de l’album. Ça veut dire que dans l’album Dans la fumée claire, il y avait Soir d’octobre qui avait été écrite deux semaines avant de partir. J’avais été dans un café, j’avais composé un très long texte, on avait jammé dessus une fois, on partait le lendemain à Kamouraska, on écoutait ça dans le char, à la pratique. En tout cas, ça a été la douzième, et ça a été je pense moi ma préférée finalement. Ça s’est vraiment fait in extremis. Les gars m’ont dit «Fred, là on part avec dix chansons, mais la onzième tu la crées là-bas, à l’Isle-aux-Coudres et on l’enregistre comme la onzième». Ce qui est arrivé, c’est que j’écrivais pendant qu’eux enregistrait les autres instruments, exemple la batterie, la basse, moi j’étais sur le divan, je les écoutais, et j’avais mon casque de construction pour ne pas entendre trop fort la musique et j’écrivais, j’écrivais, j’écrivais, et à un moment donné, je suis allé sur le balcon, face à Baie-Saint-Paul, les bateaux passaient, le gros vent, j’ai pris une guitare, ça a pas pris de temps, ça s’est passé quand même assez rapidement, j’ai trouvé une mélodie là-dessus, c’est devenu la onzième chanson : La mort du courage. Ce n’est pas la onzième dans la chronologie de l’album, mais ça a été la onzième qui a été composée. Les gars sont venus écouter et ils ont dit «Fred, c’est vraiment ça! Faut qu’elle soit là!» Donc ça s’est passé dans les deux cas d’une manière similaire quand même, on était encore dans notre bulle, un peu perdu sur le bord de l’eau.


© Photo de courtoisie

Myriam : Ok, je vais rebondir sur quelque chose que tu as dit, tu as dit que le titre Inventer des falaises avaient rapport à chacune des chansons et à la manière dont tu l’as enregistré cet album-là, peux-tu en dire plus?
Fred : Oui, en fait, je cherchais un titre pour regrouper, je sais pas pourquoi, le mot falaise revenait souvent. À moment donné, j’ai comme cliqué j’ai dit «Inventer des falaises, c’est vraiment ça», les chansons parlent beaucoup des peurs qu’on peut avoir, de vertige qu’on peut avoir, de vertige et des peurs qu’on peut se créer aussi, on dirait qu’en même temps ça parle de la distance qu’on peut avoir avec les gens, la genre de solitude qu’on peut se donner à soi-même. Ben, pas se donner mais… je veux pas dire s’imposer… Un genre de solitude qu’on se crée. Dans une de mes chansons, je parle que je suis au troisième étage, sur mon balcon et je me sens tout seul, en tout cas il y a une chanson qui s’appelle Ce soir l’espoir est un solide coup de poing dans le vide, c’est une chanson qui parle vraiment de panique intérieure et d’anxiété. La falaise, c’est encore là, t’as le vertige, t’as peur, t’es loin, tu peux pas aller rejoindre personne parce que t’es loin de tout, comme Satellite, le titre de la chanson, c’est un peu ça, tu te sens loin de tout le monde et que tu captes tout de l’extérieur mais que tu peux pas atteindre personne. Inventer des falaises parce que ça part toujours un peu de soi quand on se met toutes ces barrières-là et qu’on reste dans ces peurs-là. Cette peur de sortir de notre routine, de notre espèce de carcan habituel de vie, il y avait un peu de tout ça. Mais ça part beaucoup de l’image du vertige, du vide devant lequel on se trouve. C’est pas négatif quand je parle du vide, la vie ça peut tellement être abstrait en fait, je pense que cette abstraction pourrait pas mieux se concrétiser qu’en une falaise. C’est vraiment une image de vertige que de noirceur, ce n’est pas des images de se pitcher de la falaise, mais le sentiment de voir l’espèce de flou et de vide en avant de nous et se demander «mais qu’est-ce que je fais?», c’est un peu tout ça.

C’est à ce moment que Fred Labrie m’a surprise! Si vous avez lu mes chroniques précédentes, vous savez que j’ai dû envoyer la dernière question aux artistes pour qu’ils y réfléchissent. Ce que je comprends entièrement! Mais pas Fred Labrie. En cinq minutes, il s’est transformé en un journaliste embryonnaire avec une grande volonté. Voici ce que ça a donné:

Myriam : Si tu pouvais prendre ma place de journaliste pour une question, quelle question te poserais-tu, mais tu dois y répondre?
Fred : C’est excellent, j’adore ça! *Réfléchit*
Myriam : Si tu veux, je peux te laisser du temps!
Fred : J’ai la question! Je l’ai trouvée! Voici la question : Fred Labrie, quel style musical englobe cet album et pourquoi? Est-ce que ça c’est une bonne question?
Myriam : Fantastique!
Fred : Merveilleux! Alors, très bonne question, Fred Labrie! Je vais rétorquer à ça que en fait, pour cet album-là, je suis retourné dans une certaine nostalgie mais aussi dans les thèmes d’album, il y a une chanson que je parle de Le Kid, c’est un peu un survol de ma jeunesse. Il y a une chanson qui s’appelle Quinze ans qui parle d’une partie de l’adolescence. Je suis retourné beaucoup dans cette ambiance disons plus de l’adolescence, même je dirais début vingtaine. J’ai puisé dans ma musique de rock alternatif des années 1990, un peu de groupe punk-rock : j’en écoutais beaucoup au secondaire. Je réécoutais ça sans vraiment le décider. Il y a tellement une surabondance de proposition musicale depuis des années. C’est de l’excellente musique, mais on dirait qu’en vieillissant, on reste accroché à un style parce que ça nous ramène un peu à quelque chose d’émotionnel. Je pense, ce qui m’est arrivé, c’est que je me suis rendu compte que je revisitais ces groupes-là, et ça reste que la musique des années 1990 m’a vraiment beaucoup inspiré dans cet album-là. On peut pas dire «ah oui c’est vraiment du Nirvana ou c’est vraiment du Good Riddance ou du NOFX» c’est pas ça que je dis, mais il y a une teinte là-dedans, ça c’est certain, parce qu’il y a des petits bouts qui sont plus punk rock, les guitares sont un peu plus sales, dans les thèmes aussi, dans les sujets, j’ai vraiment décidé de revenir là-dedans. Je voulais que les guitares soient un peu plus agressives, par les sujets, par le désir de prise de position à différent niveaux, je dirais que c’est ça la réponse que je donnerais à cet animateur disons amateur mais quand même qui fait des efforts pour devenir professionnel! (rires)

1. Ton lecteur de musique plante sur une île déserte, tu peux seulement écouter une chanson, c’est laquelle?
The National, The day I die

2. Ta chanson de rupture préférée?
Malajube, Étienne d’Août

3. Ta chanson d’amour préférée ?
Wilco, One sunday morning

4. Un.e artiste que tu aimerais que les gens connaissent davantage ?
Marie-Claudel (Chénard) (MCC), une guitariste, voix et compositrice d’élite.

5. Si tu pouvais écouter un seul album pour l’année à venir, ce serait lequel?
Zen Bamboo, Glu

6. La chanson qui te rend le plus heureux ?
Galaxie, La fièvre

7. Un.e artiste / groupe qui t’inspire beaucoup ?
Ben Howard pour son jeu de guitare

8. La chanson qui t’obsède en ce moment?
Patrick WatsonBroken

9. Une chanson que tu aimerais avoir écrite?
Avec pas d’casqueDommage que tu sois pris, j’embrasse mieux que je parle

10. Ta chanson (à toi) préférée?
Chloé

Merci pour cet entretien téléphonique!!