un magazine web axé sur la culture d’ici

On vous présente : Bleu kérosène

Bleu kérosène, un doux flambeau poétique


© Bleu kérosène, photo par Odile Gagné-Roy

Par : Myriam Bercier

Ma chronique On vous présente est de retour pour l’année 2021! En guise de rappel, On vous présente vise à vous faire découvrir des artistes qui passent sous le radar de la musique populaire. Cette semaine, pleins feux sur Bleu kérosène !

Bleu kérosène est un groupe originaire de Québec formé d’Érika et Jérémie Hagen-Veilleux (respectivement paroles, voix et composition et claviers et arrangements), Loïc Paradis-Laperrière (batterie), Chloé Jacques (basse) et Jean-François Lemieux (guitare). C’est un projet, comme les noms permettent de s’en douter, mis sur pied par les frère et sœur Hagen-Veilleux en 2016. Ils ont lancé leur premier EP, La Chaleur, en juin 2020.


© Bleu kérosène, photo trouvée sur leur page Facebook

Ce premier EP a été suivi huit mois plus tard de leur deuxième EP, L’artifice de l’aube le 19 février 2021. Ce EP festif et introspectif offre une pop-alternative colorée et une poésie intime teintée d’une douce résistance. On y retrouve un hybride de pop, de rock alternatif et de jazz. Les textes et la voix d’Érika, puissante dans toute sa douceur, sont mis de l’avant, appuyés par des rythmes flottants et liquides. On y retrouve des thématiques d’amour, d’amitié et des réflexions féministes. La pièce Le Fracas, par exemple, offre une résistance festive à la calcification de nos cœurs.

J’ai eu la chance de m’entretenir avec la multi-instrumentaliste et artiste du cirque Érika Hagen-Veilleux la semaine passée. Nous avons parlé entre autres d’un cadeau de Noël très spécial, de l’impact du slam et du cirque dans l’art de Bleu kérosène et du rôle de la pandémie dans le lancement de leurs deux EPs en huit mois. Sans plus attendre, voici notre discussion!

Myriam : Qu’est-ce qui t’a amenée à faire de la musique?
Érika : J’ai toujours fait de la musique comme j’ai commencé à jouer du violon plus jeune. Je me rappelle que j’avais demandé à mes parents de jouer d’un instrument, je pense que j’avais même demandé de jouer du violon quand j’avais peut-être six ans peut-être (rires). Je viens d’une famille qui supporte la culture beaucoup, mes parents aiment faire de la musique sans être des musiciens traditionnels. Je pense que j’ai grandi avec une grande affection pour la musique. À ce moment-là, c’était plus de la musique classique, et mes deux frères aussi jouaient de la musique, dont mon grand frère Jérémie avec qui j’ai commencé le projet Bleu kérosène. Lui, il jouait du piano déjà jeune aussi. Éventuellement, je me suis un peu éloignée du violon et de la musique en général pour aller plus investiguer le corps comme médium d’expression artistique. Quand j’ai commencé à réécrire de la poésie, à la fin de mon adolescence, ça m’a ramené à la musique avec une autre envie, celle d’écrire des chansons, de sortir du cadre de mon enfance. La musique fait beaucoup partie de ma vie, je suis une auditrice assidue, j’écoute tout le temps de la musique, des fois, il faut que je me rappelle d’aussi apprécier le silence parce que je suis tout le temps en train d’écouter la musique. De commencer à faire de la musique, ça s’est inscrit dans mon ADN de cette manière-là.

Myriam : Tu as parlé de Bleu kérosène, comment le groupe s’est-il formé?
Érika : C’est un projet que j’ai parti avec mon frère. L’anecdote de départ de la première étincelle de collaboration c’est qu’à Noël, il y a quelques années, mon frère Jérémie m’a offert des textes que j’avais publiés sur les réseaux sociaux où il avait fait des ébauches d’accompagnement de piano. C’était super cute (rires). On en avait déjà discuté que ça serait quelque chose de fun à faire, d’explorer mon univers poétique et son univers musical, trouver le lien entre les deux, trouver comment ça pourrait construire quelque chose de nouveau ensemble. C’est autour de ce temps-là que j’ai commencé à plus écrire des chansons. Au départ, le projet qui se voulait plus une exploration poésie sur musique a cheminé vers une formule plus de composition de chansons. C’est en se rendant compte qu’on voulait plus faire ce genre de démarche là qu’on a voulu travailler avec d’autres musiciennes, musiciens, qu’on a invité les autres membres du groupe tranquillement, au fur et à mesure de notre processus, à embarquer avec nous dans le projet.

Myriam : Pourquoi avoir choisi le nom de Bleu kérosène?
Érika : C’est un nom qu’on a choisi un peu par hasard. On aimait la sonorité. Je pense qu’il y avait des paroles dans une des chansons que j’avais écrites qui avait le mot kérosène dedans. On trouvait que ça sonnait bien en bouche, que c’était le fun à le dire. On s’est amusé à jammer autour de ce mot-là, puis on a trouvé Bleu kérosène. Éventuellement, on lui a aussi trouvé une évocation un peu plus poétique, le kérosène c’est utilisé dans certains fours de camping, des trucs comme ça, avec la petite flamme bleue autour du kérosène qui brûle, on trouvait ça évocateur à ce niveau-là d’une image poétique, donc ça a collé.

Myriam : Qu’est-ce qui vous inspire le plus pour créer une chanson?
Érika : Notre processus d’écriture est très hachuré je dirais parce que la matière première, c’est vraiment moi qui la crée, puis Jérémie embarque vraiment à la seconde étape quand on réévalue ce qu’on a envie de faire avec la pièce que j’ai créée. Chaque chanson qu’on fait avec Bleu kérosène existe en formule solo le plus souvent en voix-guitare avant de se transformer en formule band. De mon bord, je pense que mon écriture est très relationnelle, tant au niveau des amitiés, des relations d’intimité, des relations individuelles avec moi-même ou avec le monde, je pense que ça, c’est vraiment la matière première première. Sinon, je pense que le monde autour de moi, ce qui se passe, cette énergie-là qui circule autant dans ce qui est positif que négatif… Je trouve qu’il y a quelque chose dans la poésie qui peut bien se traduire en chanson, qui invite à l’introspection, à la réflexion sur ce qui nous entoure et comment y réagir, comment la modifier, notre réalité, si on ne l’aime pas. Donc, je dirais qu’il y a quand même une présence d’une certaine revendication dans les textes que j’écris, mais je ne dirais pas qu’on est un groupe de punk (rires) qui revendique des luttes en soi, mais je pense que je m’inspire quand même de certaines résistances pour écrire mes textes.

Myriam : De ce que je comprends, c’est toi qui es derrière un processus de création, mais est-ce que vous avez un processus de création pour faire passer la chanson solo à une chanson en formule de groupe? Avez-vous un processus de création que vous utilisez toujours ?
Érika : Au niveau de la formule que l’on prend, ça se ressemble. Ça nous a pris du temps à arriver à une méthodologie qui nous convenait. C’est encore en constante évolution, je pense que ce serait inquiétait que ça ne le soit pas (rires). J’écris une formule de chanson qui peut exister en solo, j’écris la mélodie, l’accompagnement, des accords à la guitare et les textes. Ensuite, j’envoie ça à Jérémie. Souvent on parle des directions que pourraient prendre les chansons, lui il les écoute, il me dit ce qu’il entend, ce qu’il aurait envie d’explorer dedans, comment il voudrait mettre les mains dedans. Des fois, il y a certaine chanson qui sont se arrangées toute seule en formule multi-instrumentale et il y a d’autres chansons qu’il a fallu qu’on négocie un peu (rires) plus pour trouver comment elles pouvaient s’inscrire dans un contexte de cinq musiciennes, musiciens. Il y a deux étapes, puis une fois qu’on a trouvé une direction qu’on aime ensemble, où on a réimaginé la chanson dans un contexte qui n’est pas acoustique guitare-voix, on l’envoie aux autres musiciens qui sont avec nous, Chloé, Jean-François et Loïc, avec des suggestions de ce qu’eux pourraient faire avec leurs instruments, mais en les invitant aussi à vraiment contribuer s’ils entendent ou s’ils ont des envies ou des initiatives de nous faire aussi des suggestions. On travaille beaucoup, surtout avec le contexte de la pandémie, en formule de préproduction où on fait des tentatives justement jusqu’à entendre une ébauche qui se tient, une fois que ça a été touché par tout le monde, puis ça nous donne une meilleure idée de c’est quoi cette chanson-là.

Myriam : Tu viens du milieu du slam, dirais-tu que ça teinte tes textes, ta poésie, tes chansons?
Érika : Oui, certainement. Particulièrement sur L’artifice de l’aube, la chanson qui est sortie en single avant, Le Fracas, c’était vraiment explicitement un exercice de porosité que j’avais fait entre l’écriture du slam et comment ça pouvait s’appliquer à un processus d’écriture de chanson. Avec celle-là explicitement, j’ai essayé de puiser dans mon flow de slam ou de poésie orale pour voir comment, dans un contexte mélodique, de structure de chanson, ça pouvait donner une direction intéressante. Je pense qu’on le sent dans cette chanson-là, il y a une densité au niveau des paroles, une densité poétique qui, je pense, est un peu surprenante et le fun. Je pense que peu importe que ce soit le slam ou la forme de poésie que j’ai écrite avant, c’est sûr que ça a une grande influence sur ma composition parce que je pense qu’en étant des artistes en évolution, on est toujours en train de construire sur ce qu’on a fait avant, que ce soit en réponse à ce qu’on a déjà écrit, que ce soit en polarité, que ce soit dans une même lignée que ce qu’on a déjà fait, on est tout le temps en train de se repositionner par rapport à une œuvre en construction. Je pense que ça a une influence majeure sur mon écriture.

Myriam : Dans la même lignée, tu es également artiste de cirque, dirais-tu que cette discipline a un impact sur ce que tu fais avec Bleu kérosène?
Érika : C’est vraiment intéressant parce que, tu sais avec le slam c’est vraiment plus clair le transfert à cause de la matière textuelle qui est vraiment présente dans les deux. Avec ces échanges-là, ces influences, ces échos qui me viennent de disciplines qui ne sont pas nécessairement dans les mêmes langages artistiques ou les mêmes codes, comme le cirque et la danse, c’est plus difficile de mettre le doigt exactement sur la manière dont ça m’influence. Je pense que juste dans mon rapport à mon corps en étant une artiste du mouvement, ça influence mes sensibilités dans la manière que j’écris. Je considère que j’ai une écriture qui est assez sensorielle, qui est basée beaucoup sur des images très en lien avec le ressenti, le corps, c’est très incarné. Je dirais que ça, certainement, je pense qu’il y a un écho. Il y en a sûrement d’autres que je n’ai pas encore mis en lumière à ce moment-ci dans mon parcours, mais je ne serais pas étonnée de savoir qu’il y a aussi d’autres échanges et échos qui se font entre le cirque et la musique.

Myriam : Vous avez lancé deux EP en huit mois en pleine pandémie. Dirais-tu que la pandémie a joué un rôle dans le lancement de ces deux EP?
Érika : Le premier EP qu’on a lancé était prévu depuis avant la pandémie. On a attendu un moment avant de le sortir par rapport au moment où on l’a enregistré, parce que ça a été enregistré au printemps de 2019, mais moi j’étais à l’extérieur du Québec pour des projets de cirque qui se passent souvent à l’international. On avait décidé pour cette raison de repousser la date de la sortie du EP avec l’espoir d’organiser un lancement autour de cette sortie-là (rires), mais au moment où je suis revenue au Québec, c’est aussi le moment où la pandémie a frappé, donc notre plan, la raison qu’on avait repoussé la sortie de ce premier EP était un peu annulé, parce qu’on ne pouvait pas s’organiser un lancement comme prévu. Vu qu’on avait déjà mis beaucoup d’efforts envers une préparation pour avoir l’opportunité de faire quelques spectacles en accompagnement à la sortie de La Chaleur, notre premier EP, on avait envie de réorienter cette énergie pour ne pas que ça tombe un peu dans le vide, le momentum qu’on avait pris face à ça. Le deuxième EP, vraiment, je pense qu’il est influencé par la pandémie parce qu’on n’a pas vraiment eu d’autres options par rapport à où on était rendu dans notre parcours de groupe. Peut-être que dans une situation autre, nous n’aurions pas sorti un autre EP tout de suite, mais je pense qu’au final on est très contentes et contents de l’avoir fait, parce que ça nous a permis justement de… vu que le dernier EP avait été enregistré il y a quand même un moment, et qu’il a été sorti un an après son enregistrement presque, ça nous a permis de prendre mes compositions et le processus où on était rendu, parce qu’il y a une constante évolution, pour pouvoir ensuite donner une proposition d’un album qui était plus actuel à notre démarche. Je pense qu’au final, c’est du positif.

Myriam : Qu’est-ce qui vous attend en 2021?
Érika : C’est une bonne question, je pense qu’il y a beaucoup de musiciens et musiciennes qui se posent la question (rires). C’est sûr que là on a un beau petit tremplin avec L’artifice de l’aube, qui est sorti, ça a vraiment bien été quand même, on est agréablement surpris. On espère, on aimerait vraiment pouvoir faire d’autres spectacles, là on a eu la chance de briser la glace pour faire notre premier spectacle au Festival Le Phoque OFF qui a eu lieu à la fin février, ça, ça a été vraiment, vraiment chouette. On nous en souhaite d’autres, des spectacles (rires), je ne sais pas à quel point ça va être possible. On va continuer à mariner ça, comment on peut continuer à évoluer dans notre parcours et à faire rayonner Bleu kérosène malgré les contraintes qui vont un peu restreindre ou pas cette possibilité-là de faire des spectacles. Des spectacles et sinon autres projets qu’on va sûrement (rires) où on va se réaligner, je suis sûre que ça va être du beau stock, mais je ne sais pas quoi encore.

Myriam : Si tu pouvais prendre ma place de journaliste pour une question, quelle question te poserais-tu, en y répondant?
Érika : 
Qu’est-ce-que tu voudrais voir plus dans les milieux artistiques au Québec?

Je pense qu’il y en existe déjà, mais j’aimerais voir plus d’initiatives et d’alliances pour faire émerger des milieux artistiques équitables et véritablement pluriels. Il y a un projet qui vient d’être lancé dans la ville de Québec par Webster, l’Ampli de Québec et Coyote Records qui s’appelle Le Projet Échelon, qui vise à soutenir des musicien.e.s de la relève, issu.e.s des communautés autochtones et racisées pour les aider à intégrer l’écosystème culturel de la Ville de Québec. Plus d’initiatives fantastiques comme ça! Des remises en question de nos modes de fonctionnement et comment les améliorer pour soutenir toustes les artistes, de tout horizon. Plus de projets conjoints avec des organismes communautaires aussi, pour décloisonner le potentiel collectif, solidaire et relationnel des arts au Québec <3 .

1. Ton lecteur de musique plante sur une île déserte, tu peux seulement écouter une chanson, c’est laquelle?
Ouch c’est difficile!
Dans cette saison-ci de ma vie je dirais soit Hammond Song de The Roches ou If You Are Here de Eric Vloeimans et Juan Pablo Dobal

2. Ta chanson de rupture préférée?
Here Comes The River de Patrick Watson

3. Ta chanson d’amour préférée ?
Je sais pas si ça compte comme chanson d’amour mais je la vis comme ça : Balade brésilienne de Gaël Faye et Flavia Coelho.
Sinon Masterpiece de Big Thief est aussi une magnifique chanson (version full band ET solo).

4. Un.e artiste que tu aimerais que les gens connaissent davantage ?
J’arrive pas à choisir, il y en a tellement. Voici quelques coups de cœur :
Adeline
Blick Bassy
Les Lunatiques

5. Si tu pouvais écouter un seul album pour l’année à venir, ce serait lequel?
Damn. Honnêtement, je sais pas. Présentement je trippe sur l’album Idle Mind de Anna Mieke, alors mettons ça!

6. La chanson qui te rend le plus heureux?
Don’t Stop Me Now de Queen

7. Un.e artiste / groupe qui t’inspire beaucoup?
Klô Pelgag <3

8. La chanson qui t’obsède en ce moment?
Il y en a plein! Mais outre l’album d’Anna Mieke que j’ai nommé plus haut, Ya Qalbi de Meryem Aboulouafa et Views de Noga Erez.

9. Une chanson que tu aimerais avoir écrite?
Mon bel antidote de Lou-Adrianne Cassidy et Atoll de Nai Palm

10. Ta chanson (à toi en tant qu’artiste) préférée?
Présentement mon coup de cœur est Le boulevard Hamel, que j’ai écrit pour ma mère, mes amies et les générations de femmes qui sont venues avant et celles qui viendront après.