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M’appelle Mohamed Ali au TNM

Le combat des mots et des poings

Muhammed Ali TNM
Crédit photo : Yanick Macdonald

Par : Annie Dubé

En parcourant la programmation culturelle de février, et en choisissant d’aller voir M’appelle Mohamed Ali parmi les œuvres présentées ce mois-ci au TNM, je n’ai pu m’empêcher de me demander où était le pronom Je qu’on s’attendrait à lire dans le titre. Perte d’identité ? Eh bien je n’avais pas tort, mais c’est bien en allant vivre cette expérience des arts vivants qu’on saisit la puissance d’un Je effacé qui reprend ses droits, à travers la force du nombre des invisibilisés des arts élitistes et du respect que l’on porte aux comédiens dont le rôle est parfois d’oublier son propre pronom au nom du bien commun de l’oeuvre.

Boxeurs ou comédiens ?

C’est dans cette salle d’une grande institution théâtrale montréalaise que l’on est confrontés au fait que la plupart des membres du public n’ont peut-être jamais eu l’occasion de voir une pièce dont l’ensemble des talents sur les planches est d’origine afrodescendante. Désir à la mode d’inclusion modérée et d’éveils doux de nos angles morts obligent, nous voyons certes de plus en plus de diversité culturelle au théâtre animer les planches et nos histoires. Tout cela reste cependant sur le modèle caucasien la plupart du temps.

Voilà donc une œuvre et des interprètes qui nous font voir en pleine face ce qu’on ne verrait pas autrement. Ça grince dans nos repères trop bien huilés, et c’est très bien ainsi.

Nous découvrons dans M’appelle Mohamed Ali un texte fort de Dieudonné Niangouna, qui fait le chassé-croisé entre la boxe et le théâtre. On vient pour le boxer, et on repart avec des comédiens africains qui se réapproprient leur souveraineté narrative à travers une icône toute puissante qui a su se battre contre l’injustice de son époque infinie.

La distribution noire n’est pas pour autant monolithique, évidemment. Elle est diversifiée par les teintes, les traits, les voix, les silhouettes, les mouvements. Certains sont grands, certains sont petits, d’autres sont forts ou  des poids plumes. Tous y sont à leur place et mettent un visage humain, un Je, dans ce Nous informe.

Et nous autres, le public, n’avons pas le choix de joindre notre Je à ce Nous qui est Eux. Sinon, on reste chez nous et on regarde la télévision.

Oeuvre de Dieudonné Niangouna
Crédit photo : Yanick Macdonald

Comprendre l’incompréhensible par le théâtre

Malgré quelques moments où la journaliste que je suis a senti perdre le fil qui se mêle, entre les références historiques américaines plus méconnues des années soixante et la réalité moderne, entre autres parce que certaines répliques sont malheureusement marmonnées plus que d’autres, on est conquis avant tout par la puissance de la révolte de ce texte parfois violent livré avec puissance par les interprètes. Légitime défense indéniable en réponse au silence de leurs plaies.

On prend un ou deux jabs en pleines dents, mais non sans un sourire au coin des lèvres. On est confrontés dans des biais historiques sans début ni fin très clairs. On entend des choses dures, mais des choses souvent vraies.

C’est particulièrement jouissif à certaines occasions de voir cette chorégraphie combative et les mots coups de poing qui lui servent de musique.

Pour la dignité humaine, pour la force qu’elle inspirera à chacun d’entre nous, pour la tête haute de ceux qui ont le courage de nommer l’innommable, on y va et on n’y perd pas son temps. On plonge et on se mouille comme ces artisans de la scène.

M'appelle Mohamed Ali
Crédit photo : Yanick Macdonald

On pardonnera certaines longueurs, certains souffles qui s’épuisent ou quelques errements narratifs brefs, dans un espace qui s’apparente parfois au rêve où à l’hallucination temporelle, parce que peu de pièces nous transmettent autant de frissons, de raisons de rager et de beauté de révolte. On devine que cette pièce avec ses quelques représentations à l’hiver n’a pas le budget d’un Robert Lepage. On lui souhaite de continuer sa route et ses rouages pour atteindre son plein potentiel exponentiel.

C’est donc un rappel important qui ne s’oublie pas après une nuit de sommeil; un rappel du vent dominant culturel qui traverse le temps et l’espace, et du mépris condescendant des pouvoirs envers ceux que l’on réduit à des rôles mineurs, voire silencieux, dans l’Histoire et dans les arts. Parfois, les héros ne sont pas qui l’on croit. Et parfois, le vent tourne de bord.

Certaines personnes du public pourraient se sentir confrontées dans leurs privilèges… Raison de plus d’aller juger par soi-même la trace que laisse en soi cette oeuvre rafraîchissante de courage et de ayoye outch. Un combat de résilience qui ne fait pas dans la dentelle. On n’en sort pas indemne, mais c’est un jeu qui en vaut la peine. Et de la peine, il y en a en sous-texte. Mais plus encore, il y a du combat, dont chacun pourrait retenir une leçon de force intérieure, envers et contre toutes les lâchetés du monde.

À voir le 25 février, et le 1er, 2 et 3 mars 2024. Procurez-vous des billets sur le site Web du TNM.

 

Texte de Dieudonné Niangouna

Mise en scène Philippe Racine et Tatiana Zinga Botao

Production Théâtre de la Sentinelle

Distribution :  Lyndz Dantiste, Maxime Mompérousse, Rodley Pitt, Widemir Normil, Martin-David Peters, Franck Sylvestre

Crédit de couverture : Yanick Macdonald

 

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