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La chronique littéraire : Rien que le bruit assourdissant du silence

Rencontre au Musée des Beaux-Arts de Montréal

© renaud-bray.com

Par : Johanne Mathieu

Un musée, soit le Musée des Beaux-Arts de Montréal, une rencontre qui peut paraître étrange, un homme qui aime raconter des histoires et une femme enfermée dans son mutisme. Paru aux Éditions de la Pleine Lune, Rien que le bruit assourdissant du silence est le premier roman de Valérie Garrel.

Antoine et Cassandra sont deux habitués du Musée des Beaux-Arts de Montréal et s’y croisent souvent. Un jour, l’homme se décide à aborder la jeune femme et se met à lui raconter l’histoire de personnages féminins qui figurent sur certaines toiles du musée. À chaque samedi, une nouvelle œuvre, un nouveau personnage, une nouvelle histoire. Malgré le fait qu’Antoine s’ingénie à lui adresser la parole et à lui raconter ces histoires, Cassandra reste muette. Bien que réfractaire et hésitante au départ, elle l’écoute malgré tout, intriguée et curieuse, mais se refuse à lui répondre. Pourquoi la jeune femme demeure-t-elle dans son mutisme? Et quelles sont les motivations d’Antoine? Pourquoi s’entête-t-il à lui parler?

Le silence avait couvert sa vie d’un grand voile opaque. Les rythmes, les danses, les orchestres, les mélodies étaient avant omniprésents, du matin au soir et parfois aussi du soir au matin. […] Ici, il lui semblait que tout n’était que souffrances et lamentations.

© valeriegarrel.com

Rien que le bruit assourdissant du silence se déroule sous les thèmes de l’exil et de ses raisons, de la reconstruction identitaire sur un nouveau territoire, du deuil, de la résilience et de l’amitié. Ce roman nous présente aussi deux personnages fragilisés. Chez Cassandra, le silence cache une profonde souffrance causée par une catastrophe, qui lui a fait perdre son grand amour et son enfant. Après avoir piqué sa curiosité, les récits d’Antoine réussiront à mettre de nouveau de la lumière dans sa vie et l’amèneront à réfléchir à sa propre histoire. Après la tragédie, la jeune femme est restée à l’écoute de la beauté, mais posera peu à peu un regard différent sur les gens qu’elle croise, s’interrogera sur leurs histoires.

L’auteure nous démontre que certaines œuvres peuvent trouver une résonnance en nous et que les mots peuvent en faire tout autant. Pour ce qui est du passé des deux protagonistes, le mystère s’étire : si on apprend l’histoire de Cassandra au fil des pages, par bribes, celle d’Antoine ne nous est dévoilée qu’à la toute fin. On découvre par la même occasion qu’il y a bel et bien un but derrière ce monologue à sens unique, et entêté, de la part de ce dernier. L’auteure nous a offert ici un superbe roman porté par le pouvoir de l’art et des mots. L’intrigue se déroule ainsi à partir de sept tableaux observés, on y retrouve entre autres des œuvres de Bernard Strozzi, de Henri Matisse et de Camille Pissarro. Un roman empreint d’une grande poésie et d’une grande beauté.

Rien que le bruit assourdissant du silence, de Valérie Garrel (2020), Éditions de la Pleine Lune, Montréal, 142 pages.