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Toutes choses au Théâtre du Quat’Sous : toutes les émotions

Une pièce de théâtre sur l’amitié qui nous transporte dans le cinéma de nos souvenirs

Kathleen fortin - Toutes choses
Crédit photo : Yanick Macdonald

Par : Annie Dubé

Il m’aura fallu quelques minutes avant de tomber véritablement sous le charme nostalgique de la pièce Toutes choses. Pourtant, mes voisines de siège, au balcon du Quat’Sous, ont embarqué dès les premières secondes. On salue d’ailleurs la jeune femme au bout de la rangée dont le rire amusant et unique résonnait tout au long des soixante-quinze minutes de la pièce, une belle bouffée de joie pour les oreilles. J’étais peut-être trop dans le réel de mon siège douillet en velours, dans un cocon un peu tassé, avec un regard flottant, au-dessus de la scène, entre les têtes des gens devant. Puis, c’est parti; sans trop qu’on ne sache comment, la magie subjective a opéré, les derrières de têtes ont presque disparu complètement. Progressivement, un sourire est apparu sur mon visage, des dizaines de rires d’étrangers ont jailli dans le noir, et nos yeux mouillés sont venus se brouiller dans la fiction, pour mieux voir l’imaginaire.

Toutes les émotions des époques d’une amitié à vie

Ah, brailler au théâtre ! C’est là qu’on réalise que devoir se moucher sous son masque en temps de pandémie n’est pas l’idéal du politiquement correct… On essaie de se gérer comme on le peut. Pourtant, la gamme d’émotions que suscite l’amitié entre les personnages de Brune et Rousse génèrera chez certains sensibles la nécessité de quelques Kleenex. C’est que, vous voyez, la pièce, inspirée du lien qui unit l’autrice Fanny Britt et la metteure en scène Alexia Bürger, (interprétées par les talentueuses Sophie Cadieux et Kathleen Fortin), nous sort du cadre de la scène, et nous fait visiter les multiples dimensions, à la fois profondes et légères, d’une longue camaraderie entre deux femmes rendues dans la quarantaine. À les voir dialoguer au travers de leur épopée relationnelle, on a 10 ans à nouveau. Et parfois, on est subitement très, très vieux, comme dans un rétroviseur, qui nous projette droit en avant, sur notre futur spot au salon funéraire. Puis, pouf. Un détail, un geste comique, nous voilà à nouveau dans le public, à rire comme des gamins, quelque part dans le nombril insondable situé entre le dramatique et le comique.

Il y a tout le soleil d’une vie, dans cette pièce ludique, ombrée et lumineuse.

Se faire son cinéma

C’est par une sorte de mise en abîme narrative, à travers la culture populaire de leur jeunesse, plus précisément le film culte Stand By Me, qu’on fait l’aller-retour entre leur fiction et la fiction dans la fiction. Des évocations-écrans projetées sur un rideau et des capsules sonores de répliques de films (en voix doublées en français comme seul le cinéma sait le faire !) génèrent en nous un voyage nostalgique, vers l’époque où on se définissait surtout par nos meilleurs amis, ces constellations humaines de nos petits univers.

L’une est trop inquiète, et l’autre, pas assez. Différentes, mais complémentaires, Brune et Rousse revisitent le temps qui passe, se narguent gentiment, et en profitent pour réfléchir à la vie, à la mort; se servant de celle de l’acteur iconique River Phoenix pour creuser peu à peu vers une exploration nostalgique de chacune et de l’autre.

Les références sont particulièrement efficaces pour les gens qui ont été enfants durant les années 80, mais jeunes et moins jeunes se reconnaîtront peut-être dans cette amitié de trois décennies qui ne se fane pas avec l’usure du temps.

Inspirée d’une amitié réelle

Le texte de Fanny Britt est mis en lumière de façon splendide par les deux interprètes qui deviennent, au fil de la soirée, l’écran de nos propres amitiés. La complicité entre les deux actrices se ressent, et l’émotion leur passe à travers comme des petits paratonnerres du quotidien, qui captent en toute justesse la force d’un tel lien complice. La mise en scène, quant à elle, est à la fois imaginative et simple, bien qu’astucieuse. Une scène toute en proximité, parfaite pour un grand voyage en soi. Voilà un véritable système D de décor, où quelques jets de lumière et bonds dans l’espace peuvent nous transporter bien loin avec eux.

Ça goûte la limonade et les premières cigarettes fumées en cachette dans la ruelle. La vie, comme le spectacle, passe en un éclair, entre des éclats de rire et des sanglots ravalés.

La pièce jette un regard sérieux et juste assez sucré sur le temps qui passe, et sur les souvenirs qui tissent les films de nos vies ensemble, sans qu’on ne puisse jamais peser sur pause sur la VHS de l’âge.

Jusqu’au 14 mai 2022 au Théâtre de Quat’Sous, prenez le beau risque de ressortir un peu morveux du théâtre, avec le cœur allégé, tout en douceur.

Texte Fanny Britt, Mise en scène Alexia Bürger, Interprétation Sophie Cadieux et Kathleen Fortin, Assistance à la mise en scène et régie Stéphanie Capistran-Lalonde, Décor Odile Gamache, Lumière et vidéo Mathieu Roy, Costumes Julie Charland, Musique Vincent Legault, Maquillage et coiffure Justine Denoncourt-Bélanger, Assistance aux costumes Yso, Conseil au mouvement Wynn Holmes.

Crédit de la photo de couverture : Yanick Macdonald

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