Sesquialtera et la valse du temps qui passe
© Sesquialtera, photo de courtoisie
Par : Myriam Bercier
MatTv.ca vous offre encore et toujours la chronique On vous présente, qui a pour objectif de vous faire découvrir des artistes qui passent sous le radar de la musique populaire. Cette semaine, venez tournoyer avec le groupe instrumental Sesquialtera!
C’est le retour des petites définitions! Voici une distinction importante :
Sesquialtera : mot latin qui signifie : le rapport de 3 pour 2 en mathématiques et en musique. Il est traduit en français par le mot « hémiole ». Sesquialtera peut également désigner une fanfare composée de six musiciens (Guillaume Garant (trompette), Aurélien Tomasi (saxophones et clarinette), Blaise Margail (trombone, fiscorn), Alex Bouchard (trombone et tromb basse), Philippe Legault (tuba, sousaphone) et Ivan Bamford (batterie et percussions).
© Pochette de C’est ce qui altéra, du groupe Sesquialtera, photo de courtoisie
Ces derniers ont offert leur premier album, C’est ce qui altéra, le 26 février dernier. Cet album est constitué de neuf pièces instrumentales composées par Aurélien Tomasi qui commentent, chacune à leur manière, le temps qui passe, la jeunesse (notamment par les pièces L’insouciante, De la balançoire) et la vieillesse (notamment pas À la chaise berçante, C’est ce qui altéra). Il permet également de découvrir un répertoire joyeux et profond, le tout, bien accompagné d’une pochette faite par la peintre et aquarelliste Helena Vallée-Dallaire qui représente le regard posé par l’ensemble musical sur la thématique : paisible, nostalgique et résilient.
J’ai eu la chance de m’entretenir avec le compositeur, saxophoniste et clarinettiste Aurélien Tomasi la semaine passée. Nous avons discuté entre autres de son rapport aux valses et à la musique du monde, le pourquoi du nom Sesquialtera et leur spectacle pluridisciplinaire à venir! Sans plus attendre, voici notre discussion!
Myriam : Qu’est-ce qui t’a amené à faire de la musique?
Aurélien : J’ai commencé à faire de la musique à l’âge de sept ans. Je ne sais pas si c’était vraiment un choix ou si on m’a un peu lancé là-dedans, mais au final, ça m’a suivi toute ma vie. J’ai commencé le saxophone à huit ans, à partir de là, j’ai continué à jouer le saxophone, maintenant je fais de la clarinette et de la flûte. Ça s’est défini avec le temps. De plus en plus, je le définis comme étant mon métier.
Myriam : As-tu une formation musicale particulière?
Aurélien : J’ai étudié le jazz à l’Université de Montréal, j’ai un baccalauréat en jazz. Avant ça j’ai étudié, quand j’étais en France, à l’Université à Toulouse, et dans un lycée, donc l’équivalent d’un secondaire, j’ai fait l’équivalent d’une concentration en musique au secondaire dans ma ville à Toulouse. J’ai eu plusieurs formations, et depuis 2015 je travaille. Je ne suis plus de formations, mais je serais quand même curieux un jour de reprendre, peut-être pour une maîtrise si ça adonne.
Myriam : Comment le groupe a-t-il développé son son?
Aurélien : Sesquialtera est un projet qui est parti d’une envie d’écrire de la musique. D’habitude, les projets dans lesquels je performe font souvent dans la musique improvisée, autant dans le jazz avant-garde que dans le jazz New Orleans, que dans différentes musiques. J’avais envie d’un projet de musique écrite, donc j’avais envie de composer et d’arranger. J’ai eu envie d’écrire pour une formation à six musiciens, avec trompette, deux trombones et tuba pour essayer d’avoir une espèce de couleur d’orchestre de cuivres, qui est une formation que j’aime beaucoup. J’avais envie d’expérimenter là-dedans. C’est comme ça que c’est né, par l’envie d’écrire dans ce sens-là.
Myriam : Tu composes beaucoup de valses de ce que j’en comprends, entretiens-tu un rapport particulier avec ce style de musique?
Aurélien : Oui, Sesquialtera est un projet dont la contrainte, pour écrire, c’est d’écrire exclusivement des valses. Pourquoi? Je ne sais pas. C’est parti d’un voyage avec ma copine, on est allés en Espagne et au Maroc et je m’étais dit que ce serait amusant de m’inspirer des cultures et de composer comme ça, et finalement chaque fois que je composais c’était toujours des valses. Je me disais : « bon, c’est bizarre… » Évidemment, avec mon background, je crois que c’est normal, j’ai écouté beaucoup de valses quand j’étais jeune. En France, il y a cette tradition culturelle des valses musettes et tout ça. De mon bord, j’avais joué beaucoup de jazz manouche, du gypsy jazz, des répertoires qui comportent beaucoup de valses aussi. J’ai toujours eu un intérêt pour les valses, jusqu’à Érik Satie, toutes ces valses-là. C’est quelque chose qui m’a toujours parlé, et je trouvais que cette contrainte était intéressante, tout en me permettant d’élargir le rythme de la valse, ce trois temps ternaires, très tournoyant, j’ai pu l’élargir aux rythmes du monde, car j’ai réalisé qu’il y a des valses partout dans le monde, dans les cultures des Caraïbes, de l’Afrique, de l’Amérique du sud, du Québec… Surtout au Québec, où il y a de très jolies valses. Ça a été une contrainte très intéressante qui m’a permis de faire plein de recherches musicales et de découvrir de beaux répertoires.
Myriam : Qu’est-ce qui t’inspire pour écrire des chansons?
Aurélien : Pour cet album, C’est ce qui altéra, j’ai essayé de m’inspirer du rapport au temps. Au départ, c’était une réflexion musicale autour du trois temps, puis j’ai essayé d’élargir ça au temps de la vie. Les trois temps de la vie; l’enfance, la vie adulte et la vieillesse et de voir comment on peut mettre en musique ces trois temps de la vie. Sesquialtera, qui est un projet instrumental, ne peut utiliser le biais des paroles pour dire ce qu’on veut dire, il faut donc passer par les notes de musique pour dire ce qu’on veut dire. Ça m’a donné des directions pour construire la musique, mais comme c’est de la musique instrumentale, tout le monde peut se faire son image. Les titres des chansons peuvent guider, mais ils sont ouverts pour que les gens se fassent leur propre idée. S’ils veulent voir quelque chose d’autre, c’est parfait aussi.
Myriam : Tu sembles t’inspirer beaucoup de ce qu’on appelle la musique du monde pour tes compositions, qu’est-ce que ça t’inspire ou influence? Y a-t-il des éléments particuliers?
Aurélien : La musique du monde a été une découverte en arrivant à Montréal il y a huit ans. C’est toujours difficile de dire « musique du monde » pour globaliser toutes les musiques qui ne sont pas jazz, classique ou pop, mais en arrivant à Montréal, une ville très pluriculturelle, j’ai pu me glisser dans plusieurs formations musicales d’origines différentes, comme Gypsy Kumbia Orchestra qui met en valeur la musique afro-colombienne et la musique de l’Europe de l’Est, d’autres formations haïtiennes, africaines, etc. toutes sortes de formations. Ça m’a vraiment inspiré de voir ces variétés musicales. J’ai pu partir en Colombie avec le groupe Labess qui fait de la musique algérienne. C’est toutes sortes de mélanges comme ça qui donnaient des résultats très intéressants et qui m’ont vraiment inspiré. Dans ma construction musicale du projet Sesquialtera, je voulais mettre en valeur toutes ces références culturelles qui m’avaient habitées dans les dernières années à Montréal.
Myriam : As-tu un processus de création? Si oui, lequel?
Aurélien : Ça dépend de chaque projet. Pour Sesquialtera, ça a été un processus assez individuel dans le sens que je travaillais par moi-même pour écrire les partitions. En général, les projets dans lesquels je joue, comme la Fanfare de l’île ou Gypsy Kumbia, ça va être des processus plus collectifs où certaines personnes vont amener une intention, une idée de pièce et après on va travailler en groupe. Avec Sesquialtera, on va travailler en groupe, mais je voulais vraiment apporter les partitions, un peu comme de la musique classique, avoir cette approche d’écriture. Ça m’a permis d’avoir un son comme je l’imaginais, avec les arrangements que j’imaginais. C’est un processus un peu plus individuel pour Sesquialtera.
Myriam : Je ne l’ai pas posé plus tôt, car je comprends ce que ça veut dire Sesquialtera, mais pourquoi avoir choisi ce nom pour le groupe?
Aurélien : Sesquialtera est un mot qui vient du latin qui est un rapport mathématique entre le trois et le deux. Pourquoi j’ai choisi ce nom? Déjà Sesquialtera je trouvais que ça sonnait bien, finalement c’est quand même compliqué, les gens ont de la difficulté à s’en rappeler (rires). Ce rapport entre le trois et le deux c’est ce qui est intéressant je trouve dans le rapport à la valse : souvent, on va pouvoir se balancer entre les deux temps et les trois temps, et ces changements-là, qu’on appelle aussi hémioles en musique, créent les balancements qui me plaisent dans cette musique-là. Après ça, il y a un jeu de mots qui s’est créé avec Sesquialtera / C’est ce qu’il altéra, qui était un peu forcé mais qui était sympathique et qui m’a permis d’élargir mon concept des temps de la vie, ce qui altère c’est le temps. C’était cette idée-là. C’est un peu conceptuel, mais Sesquialtera c’est une belle sonorité aussi.
Myriam : Est-ce que le nom a été choisi avant que tu commences à composer ou après?
Aurélien : Certaines pièces étaient composées avant, d’autres après. Je dirais que c’est arrivé au milieu du processus, mais c’est clairement arrivé avant que la majorité du répertoire arrive. Je crois que le nom est arrivé en 2019, et le groupe a commencé en mars 2018. Avant qu’on commence à faire des spectacles, c’est sûr.
Myriam : Donc le nom t’est venu avant que tu réalises que tu composais beaucoup de valses?
Aurélien : Oui. Le nom est arrivé et j’avais déjà composé quelques valses avant de penser à ce nom-là. Je pense que ce nom est apparu quand j’ai décidé que ça allait être ça la contrainte esthétique du projet, de n’être que des valses.
Myriam : D’accord, parce que je me demandais si vous vous appeliez ainsi parce que vous faites des valses ou si vous faites des valses parce que vous vous appelez ainsi?
Aurélien : On s’appelle Sesquialtera parce qu’on fait des valses, clairement.
Myriam : Penses-tu que la musique instrumentale comme fait Sesquialtera attire un public différent de la musique à parole? Pourquoi?
Aurélien : Oui bien sûr, la musique instrumentale ça ne peut pas être un public précis, dans ce sens où c’est une niche assez discrète pour l’instant sur la scène québécoise. Il y a quelques groupes qui mettent ça en valeur récemment comme Flore Laurentienne et Alexandra Stréliski. Je pense que la musique de Sesquialtera peut parler à des gens assez variés, parce qu’il y a des influences de classique, de jazz, avec des influences de rythme de musique du monde. Tout ça peut trouver parole chez certains auditeurs. Si quelqu’un apprécie ces styles, il peut être intéressé par ça, mais il peut aussi être curieux et découvrir des éléments de jazz par exemple. Je pense que dès qu’une personne est ouverte à l’écouter, elle va trouver des zones de confort et des choses à découvrir.
Myriam : J’ai cru comprendre que vous êtes en train de plancher sur un spectacle pluridisciplinaire appelé Les Çédilles, peux-tu m’en parler davantage? Qu’est-ce que c’est? D’où vient l’idée?
Aurélien : En écoutant la musique de Sesquialtera, je crois qu’il y a beaucoup d’éléments visuels qui en ressortent. Beaucoup de gens me disent qu’on peut entendre de la musique de cirque. Je peux le voir, car c’est vrai que ça fait partie de mes influences. J’ai eu le goût de concevoir un spectacle pluridisciplinaire avec une danseuse contemporaine et un artiste de cirque. Pour l’instant, le projet est en stand-by, avec la pandémie on a mis ça de côté pour l’instant. On va attendre de voir comment ça se rétablit, pour voir quand est-ce qu’on embarque là-dessus. On espère pouvoir présenter le spectacle fin 2021, plus probablement au courant de 2022. Je pense que le spectacle permettrait de rendre plus concret le concept qu’on parlait précédemment, mais aussi de donner un spectacle visuel, varié, musical, où la musique serait au centre de la pièce, ce qui n’est pas souvent le cas dans les spectacles pluridisciplinaires où la musique va être souvent en accompagnement de la danse, du théâtre ou du cirque. Dans ce contexte-là, ce serait de voir si on peut faire l’inverse, d’avoir la danse et le cirque qui accompagne la musique. On devrait performer au festival Complètement cirque! cet été entre le 15 et le 18 juillet. On va offrir quatre performances avec des artistes de cirque, le tout, organisé par la ToHu! Tout ça s’enligne pour aller vers la direction pluridisciplinaire assez bientôt!
Myriam : Si tu pouvais prendre ma place de journaliste pour une question, quelle question te poserais-tu, en y répondant?
Aurélien : Qu’est-ce que tu aimes dans le fait d’être musicien? Ce que j’aime dans le fait d’être musicien, c’est une variété totale dans les expériences : on peut aller de l’enseignement au plus jeune âge à l’enregistrement d’un album en studio à une performance en live, à une parade déambulatoire devant un quartier qu’on ne connaît pas et qu’on découvre comme de faire un voyage dans un pays qu’on ne connaît pas, avoir un langage musical qu’on partage avec des gens qu’on n’a jamais rencontrés avec qui on ne parle pas la même langue. Toute cette variété de choses qu’on peut faire et que la musique nous permet de faire par le langage universel, je pense que c’est ce qui me plaît là-dedans et qui m’attire.
Ton lecteur de musique plante sur une île déserte, tu peux seulement écouter une chanson, c’est laquelle? Anewala Pal – Kishore Kumar Janewala Hai
Ta chanson de rupture préférée? Glad to be unhappy – Paul Desmond
Ta chanson d’amour préférée? Je ne sais pas dire – Barbara
Un.e artiste que tu aimerais que les gens connaissent davantage? Terry Riley
Si tu pouvais écouter un seul album pour l’année à venir, ce serait lequel? Crush – Floating Points
La chanson qui te rend le plus heureux? Alright – Supergrass
Un.e artiste / groupe qui t’inspire beaucoup? John Zorn
La chanson qui t’obsède en ce moment? Anywhere – Philippe B
Une chanson que tu aimerais avoir écrite? On a turquoise cloud – Duke Ellington
Ta chanson (à toi en tant qu’artiste) préférée? C’est ce qui altéra – Sesquialtera