un magazine web axé sur la culture d’ici

NoShow du Refuge: En route vers un stade olympique rempli par votre absence

Un Show qui atténue la souffrance

Laurence Labat

Par Marie Eve Archambault

L’an dernier, le Refuge des Jeunes de Montréal a rebaptisé son événement annuel le NoShow du Refuge. Cette année, l’organisation a eu l’objectif de remplir virtuellement la plus grande salle vide du Québec soit le stade olympique qui contient 56 000 sièges! Soulignant ses 31 ans d’existence, le Show du Refuge pourra compter sur la présence de Marjo, Jacques Michel, David Goudreault, Dramatik, Lyne Fortin, Elizabeth Blouin-Brathwaite et le bassiste d’Offenbach Breen LeBœuf. À quelques jours de l’événement, on peut dire que l’objectif de cette collecte de fonds drôlement déguisée est atteint! Par contre, tous les dons sont nécessaires afin de permettre au Refuge des Jeunes de Montréal de garder la tête hors de l’eau. Encore une fois cette année, les Québécois ont prouvé qu’on peut aller loin lorsque l’on travaille collectivement.

J’ai eu l’immense privilège de m’entretenir avec le porte-parole du Refuge des Jeunes de Montréal, Dan Bigras qui en est à sa 31ième année d’implication. À travers ces lignes, vous comprendrez que l’itinérance au Québec est un problème criant qui mérite à ce qu’on s’y attarde.

L’itinérance plus présente que jamais

Riche ou pauvre, le désespoir est un sujet universel: «Même si tu es très prospère, il t’est déjà arrivé à toi, à tes parents ou à tes enfants de vouloir se crisser une balle dans la tête à cause du désespoir. On sait tous ce que c’est.» Ces mots résonnent lorsqu’on les entend de la voix de Dan Bigras. Maintenant que vous avez l’image du désespoir en tête, pensez à ce que peux ressentir un itinérant qui lutte pour rester en vie quand tous les jours, il a l’impression de se sentir rejeter par la société. Après avoir constaté qu’il y avait de plus en plus de jeunes hommes dans la rue, et qu’il n’y avait malheureusement aucun service pour les aider à s’en sortir, France Labelle a ouvert les portes du Refuge des Jeunes de Montréal en octobre 1989.

Aujourd’hui, le portrait de l’itinérance n’est pas mieux.  On compte de plus en plus d’enfants issus de l’immigration qui se sentent mal intégrés soit dans leur famille ou ici dans notre société. On rajoute à tout cela la nouvelle itinérance causée par la hausse des logements où les gens ne sont plus capables d’arriver. Le porte-parole du Refuge des Jeunes de Montréal, Dan Bigras, affirme qu’il est de plus en plus fréquents que l’on trouve des gens à la rue possédant deux emplois, situation qu’il ne voyait pas à l’époque. Ce dernier aimerait de tout coeur voir les choses changer, toutefois l’action doit se faire plus haut que lui: « Je ne suis pas amanché pour aller voir le gouvernement et dire que c’est de la corruption.  Je ne peux pas faire ça, mais c’est sûr que si on allait chercher l’argent dans les paradis fiscaux ou d’arrêter de subventionner des gens déjà milliardaires, il y aurait beaucoup moins de souffrance chez tous ceux qui sont moins fortunés.»

La COVID-19 a su amener son lot de défis au Refuge des Jeunes de Montréal, qui travaillaient déjà d’arrache-pied à améliorer la situation de l’itinérance à Montréal. « Les cas que l’on connaissait, on ne sait plus où ils sont. Et c’est très angoissant. Et il y en a pleins qui apparaissent et on ne sait pas d’où ils sortent. On en a perdu beaucoup, mais le nombre d’utilisateurs ne fait qu’augmenter. On a essayé de s’adapter. Par exemple, on a commencé à faire des boîtes à lunch. Rapidement, on a été confronté à la pénurie des pains. France Labelle ne pouvait pas acheter plus d’un pain à la fois, donc je suis allée voir mon épicier en campagne pour lui demander combien il pouvait me trouver de pains. Je me rappelle qu’il m’a dit qu’il pouvait m’en vendre 400, donc j’ai acheté 400 pains et je suis descendu en ville », raconte Dan Bigras.

Maryse Phaneuf

Briser les préjugés

L’un des préjugés qui circulent beaucoup entourant les itinérants est celle de la consommation. Le porte-parole du Refuge explique que ce sont bien souvent des images que l’on se fabrique pour pouvoir se débarrasser d’une souffrance que l’on voit:  «Quand tu n’arrives plus à te soigner et que tu vas trop mal et que tu pense que tu vas y rester, tu cherches une façon de te médicamenter. Ce sont de très mauvaises façons. Je sais parce que je les ai prises moi aussi. Je connais ces chemins-là, mais un moment donné, il n’y en a pas d’autres.»

Bien souvent, l’idée que l’on a lorsque l’on voit quelqu’un qui quémande sur le coin d’une rue, c’est que l’argent ne servira pas à acheter un café ou encore à manger : « Tu ne l’empêcheras pas de se droguer. Tu vas le forcer à s’en prendre aux autres parce qu’il faut qu’il mange. Et s’il est réellement drogué, il doit s’en procurer parce qu’il est probablement en manque. Souvent, il va s’en prendre à lui-même et il va tomber dans le réseau de la prostitution. » À partir de là, c’est la descente aux enfers. D’abord, la peur de s’approcher de ces individus est en fait un réflexe de société qui tente de se protéger de la souffrance en l’éliminant parce qu’entre vous et moi, c’est excessivement confrontant. La raison pour laquelle certaines personnes sont portées à changer de trottoir pour éviter de croiser un itinérant, c’est souvent parce qu’on ne veut pas être confronté à cette situation.  Alors dans ces moments-là, on tente de regarder ailleurs. Il y a pourtant une solution plutôt simple à laquelle nous ne pensons pas. Dan Bigras propose de tout simplement saluer ou sourire à la personne dans le besoin. Ce simple petit geste les illumine à 90% des fois: «Un sourire d’une seconde et demie, c’est un retour vers nous. Ta vie a la même valeur que les autres. La question que j’entends le plus souvent depuis 31 ans dans le milieu c’est: »Pourquoi personne ne m’aime?» Et la réponse qu’ils trouvent est qu’ils ne le méritent pas. Quand tu as une estime de toi si basse que ça, il est plus facile de se détruire ou de se tuer.  Au delà de tous les soins d’urgence et de la vingtaine de logements sociaux, la mission du refuge c’est de leur dire qu’ils nous intéressent, et tranquillement, ils commencent à comprendre qu’ils sont importants. C’est le début d’un cheminement qui mène parfois à l’amour, parfois à un travail voire même une carrière. Et pour cela, il faut les regarder. »

31 ans d’implication

Captivée par un témoignage qu’il m’a fait part, j’ai soulevé que d’entendre des histoires qui finissent bien doit être quelque chose de valorisant après 31 ans d’implication. Dan Bigras le voit autrement. Plutôt que de compter les réussites, il regarde la misère augmenté au fils des années, et il ne peut qu’être découragé que les choses n’avancent pas. Là où il trouve le plaisir c’est d’aider à faire avancer la cause grâce au Show du Refuge. Il est d’ailleurs très fier de faire partie d’une équipe qui fait de très belles choses dans un contexte difficile. Bien sûr, il sent le bonheur du Refuge d’aider «les jeunes puckés», mais il demande d’arrêter d’en fabriquer. Il a l’impression que c’est une roue qui tourne et qu’il est constamment en train de recommencer à 0.

Photo officielle

Heureusement, le Show du Refuge rapporte plus d’argent qu’avant, toutefois le montant amassé est toujours insuffisant pour répondre à la demande autant en nombre qu’en souffrance. Qu’il reste des sièges ou non, faites comme moi et faites un don au Refuge des Jeunes de Montréal, sur le site suivant: https://noshowdurefuge.ca. Chaque don de 25$ permet soit une nuit au refuge ou 20 repas. Après votre don, ne soyez pas surpris que l’on vous remercie pour votre absence. Que vous ayez donné ou non, je vous invite à écouter l’événement d’une durée d’une heure et demie sur les ondes de ICI Radio-Canada Télé le 19 décembre prochain à compter de 20h.