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L’illogisme logique de Ionesco triomphe au TRV

Sublimes démonstrations du véritable sens de l’absurde

canta1©François Laplante Delagrave

Par : Marie-Claude Lessard

Familier avec la pièce La cantatrice chauve pour l’avoir jouée en 1996 au Théâtre du Rideau Vert, Normand Chouinard la met maintenant en scène dans le même théâtre. Il dirige une impressionnante brochette d’acteurs chevronnés dont Carl Béchard, son partenaire de jeu dans la version de 1996. Donc, force est de constater que, une vingtaine d’années plus tard, la première oeuvre d’Eugène Ionesco fascine encore et ne perd en rien de sa pertinence.

Londres. Période d’après-guerre. Pendant que M. Smith (Carl Béchard) lit nonchalamment son journal, Mme Smith (Dorothée Berryman) roule sa pelote de laine et discute pratiquement à sens unique sur le magnifique repas qu’ils viennent de partager. Se joignent à eux leurs amis, les Martin (Sylvie Drapeau et Luc Bourgeois), pour une soirée complètement déjantée qui atteint son paroxysme lorsque le capitaine des feux (Rémy Girard) fait son apparition à la recherche d’incendies à éteindre.

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Pour illustrer cette ambiance huppée de la bourgeoisie anglaise, Jean Bard a concocté un décor minimaliste qui captive l’œil grâce à une prédominance de la couleur verte. La mise en scène épurée de Chouinard s’inscrit dans la même veine, laissant toute la place à l’illogisme réfléchi de l’univers poétique de Ionesco. Considéré par plusieurs comme le maître de l’absurde, Ionesco se voyait plutôt comme un auteur qui dénonce d’une part la société par le biais de la dérision et de l’autre qui se plaît à jongler avec les mots pour son simple plaisir, pour faire valoir toutes la richesse et les contradictions du langage. En abusant avec un contrôle déroutant les pléonasmes et sophismes, l’auteur accouche d’une facétie franchement hilarante, car elle surprend. Entre deux éclats de rire, le deuxième degré du texte mijote lentement mais sûrement dans l’esprit des spectateurs. Du grand art.

Les comédiens d’expérience évoluent avec aise dans cet environnement dans lequel il faut se méfier des apparences. Tous parviennent à se démarquer à un moment ou à un autre, s’abandonnant sans peur à la gymnastique complexe du texte. Les artistes maîtrisent sans accrochage cet exercice périlleux de diction tout en le saupoudrant de vérité pour qu’il ait du sens.

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Le spectacle propose également la pièce La leçon, deuxième création d’Eugène Ionesco. Interprété magistralement par Rémy Girard et Rosine Chouinard-Chauveau, ce cours privé entre une jeune étudiante brillante et un professeur âgé dont l’exigence dissimule un certain épuisement et une désillusion face à la profession ne s’avère rien de moins qu’une troublante gifle à l’instruction. La leçon est une leçon d’éducation, tout simplement. Avec sa plume éclatée mais moins comique que celle qui caractérise La cantatrice chauve, l’auteur pond un commentaire acide, virulent et profondément vrai sur l’élitisme et la pression de la performance.

La cantatrice chauve suivie de La leçon est présentée au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 4 mars 2017.

Texte révisé par : Annie Simard