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Les chiennes sont en ville

Glengarry Glen Ross

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© Bertrand Carrière

Par : Sébastien Bouthillier

Une distribution entièrement féminine s’abandonne à la vanité. « Survival of the fittest » résume la pensée de Darwin sur la sélection naturelle. La survie de la plus apte dans la faune humaine appartient à celle qui assénera le coup fatal à ses concurrentes, la notion collégiale de collègues devient obsolète.

Dans le bureau des agences immobilières Glengarry Highland et Glen Ross Farms, tous les coups sont permis dans la quête du succès. Intimidation, mensonges, corruption et chantage, les requins repoussent à outrance les règles du capitalisme spéculatif.

Les sept femmes sélectionnées par Brigitte Poupart jouent le jeu, c’est la seule façon de survivre dans l’abrutissante course aux profits. Les courtières doivent vendre plus que leurs consœurs pendant que l’imperturbable garce (Marilyn Castonguay) qui dresse le palmarès de leurs ventes mensuelles les place en compétition. Car seules les meilleures survivront, la pire sera jetée à la rue le dernier jour du mois.

Si elles n’éprouvent pas de plaisir à se battre, elles n’en dénoncent pas l’injustice non plus : le cynisme triomphe dans un texte d’une violence inouïe. Pleuvent les insultes et les menaces, la férocité des répliques amène le drame individuel de chacune à l’avant-scène, sous les néons vacillant et les bruits glauques (musique de Stéphan Boucher) d’un arrière-bureau de banlieue. Elles s’insultent sans se hurler par la tête, en ressort un aspect sadique.

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Micheline Lanctôt incarne la doyenne des vendeuses, qui a trôné au sommet des ventes… il y a cinq ans. Elle est donc finie aujourd’hui. Si Roma (Geneviève Laroche) l’écoute et la félicite, on craint que ce ne soit que pour servir ses intérêts ou lui soutirer quelque information pendant qu’elle ne se méfie pas. Peut-être qu’elle écopera pour le crime ourdi par ses collègues…

Pour ces courtières en immobilier, l’enjeu consiste à vendre des propriétés douteuses à des acheteurs potentiels. Leurs boniments de vente regorgent de ruses et de subterfuges. Entre elles, une compétition malsaine s’installe où l’hypocrisie revêt les habits de l’amitié simplement pour soutirer des confidences utiles et repérer les faiblesses de collègues rivales à éliminer.

La liste des clients à démarcher constitue l’autre enjeu. Mais la liste est égrenée par la directrice du bureau, qui a plutôt l’apparence d’une secrétaire naïve inexpérimentée. Cruelle, elle envoie les courtières rencontrer des clients indécis ou insolvables. Une Louise Bombardier manipulée par une Isabelle Miquelon excédée commettra un acte pour se venger, mais elles entretiendront ainsi la course aux profits plutôt que d’en changer les règles.

Écrite par l’Américain David Mamet, prix Pulitzer en 1984, la pièce a été jouée au Rideau Vert le printemps dernier. L’adaptation de Brigitte Poupart n’inclut pas la tirade délirante sur l’art de conclure une vente à l’équipe apathique. Ce monologue a cependant été ajouté dans le film que Mamet a adapté de sa propre pièce, en 1992, que livre Alec Baldwin.

Glengarry Glen Ross, à l’Usine C jusqu’au 13 mai.

Crédit photo : Bertrand Carrière

Texte révisé par : Annie Simard