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Just another day on the job

Critique de la pièce de théâtre The Mountaintop

Motel

© Andrée Lanthier

Par : Maxime D.-Pomerleau

 

Le discours I Have Been to the Mountaintop de Martin Luther King est peut-être moins connu que le célèbre I Have a Dream, mais il n’en est pas moins mythique. Prononcé la veille de son assassinat, ce discours aux accents prophétiques a laissé sa marque dans la culture américaine. Une version de la pièce de théâtre The Mountaintop est présentée jusqu’au 29 octobre à Montréal, en anglais. Produite par Black Theatre Workshop, avec Neptune Theatre Halifax, la première troupe de théâtre afro-américaine au Canada, la pièce mise en scène par Ahdri Zhina Mandiela tisse de nombreux liens avec le contexte politique américain actuel.

On y trouve Tristant D. Lalla en Dr. Martin Luther King Jr, plus libidineux qu’on l’aurait imaginé avec sa co-star Letitia Brooks. Les 20 premières minutes du spectacle assoient surtout un rapport de séduction entre les deux personnages, et plusieurs allusions à caractère sexuel ponctuent le récit, à en devenir lassant, surtout qu’ils se révèlent pas du tout nécessaires. Heureusement, la dynamique se transforme graduellement, pour avoir accès à des personnages plus complets et aux dialogues plus profonds.

Mountaintop

© Andrée Lanthier

C’est que Camae, personnage de la joyeuse femme de chambre interprétée par Brooks, est en fait un ange, ayant reçu comme contrat lors de sa première journée en poste, d’annoncer à Dr. King sa mort imminente. Elle l’emmène toutefois lentement sur ce chemin, le rassurant d’abord face aux éclats de tonnerre qui, pour King, ressemblent à des coups de feu, avant de le confronter sur ses convictions et ses engagements.

Il évoque un échec, celui de n’avoir pu empêcher la mort d’un adolescent noir, abattu par la police. On est en 1968, pourtant on ne peut s’empêcher de penser à Trayvon Martin, décédé en 2012, ou à Michael Brown, dont la mort en 2014 a causé de violentes émeutes à Fergusson, dans l’État du Missouri. Mais il parle surtout de « ce qu’il reste à faire »; les marches à organiser, la résistance pacifique à enseigner, le dialogue à créer avec les Blancs, qui « sont nos frères, même s’ils nous frappent et nous répudient. »

C’est un jour de travail ordinaire, pour celui qui mourra de la main d’un Blanc, devenant l’un des symboles les plus puissants de l’émancipation des peuples. « Preach by love, die by hate » nous dit Camae, d’une effarante lucidité. Dans The Mountaintop, le fatalisme côtoie l’humour, avec quelques anachronismes calculés, qui font sourire lorsqu’ils surviennent. L’auteure Katori Hall s’est permis de jouer avec les conventions, et King tentera de négocier le report de sa mort avec Dieu au téléphone. Dieu qui est en fait : une femme noire.

Le Studio du Centre des arts de la scène Segal est transformé, pour l’occasion, en une chambre du Motel Lorraine à Memphis, au Tennessee. Le décor est simple, mais efficace, particulièrement la courte scène de « cauchemar » où Dr. King a un aperçu de ce que pourrait être l’enfer, avec une créature osseuse émergeant du mur.

Telephone

© Andrée Lanthier

Le dernier acte, qui intègre de la vidéo et du slam, est extrêmement réussi, et on en aurait pris davantage. Transportant le personnage de King dans le futur, pour le public, c’est un résumé des 50 dernières années de luttes et d’accomplissements pour les communautés afro-américaines, mais aussi une constatation des difficultés, encore persistantes, à faire respecter leurs droits. Les slogans du mouvement #BlackLivesMatter, des images des manifestations de suprémacistes blancs, la victoire de Barack Obama, le visage de Trump, un genou posé sur le sol. Oppressante et galvanisante en même temps, la scène mériterait de clore la pièce, plutôt que de revenir à la chambre d’hôtel pour les dernières minutes.

The Mountaintop nous permet non seulement de rencontrer le personnage historique de Martin Luther King en dehors de ses discours, mais de le découvrir sous un angle plus modeste. Celui d’un leader engagé pour une cause, un homme prêt à se sacrifier au nom de l’amour et de la fraternité, un pasteur qui plaçait sa foi en Dieu, oui, mais surtout en l’Humain.

Crédit photo : © Andrée Lanthier/Black Theatre Workshop

Texte révisé par : Annie Simard