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Exposition sur Edmund Alleyn au MAC

Une rétrospective d’envergure pour un artiste pluriel

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© Carolanne Lamontagne/MatTV.ca

Par : Maude Nadeau

Mercredi matin, 10 h, les journalistes s’installent lentement dans le hall circulaire du Musée d’art contemporain de Montréal (MAC). La conférence de presse débutera dans quelques minutes, et MatTv y était pour vous. Demain, ce sera l’occasion pour le grand public de découvrir l’exposition Dans mon atelier, je suis plusieurs retraçant près de 50 ans de la carrière d’Edmund Alleyn, décédé en 2004. Cette exposition majeure est le coup d’envoi de la saison estivale du musée et se poursuivra jusqu’au 25 septembre.

John Zeppetelli, directeur et conservateur en chef, Mark Lanctôt, commissaire de l’exposition et Jennifer Alleyn, cinéaste, autrice, photographe et fille d’Edmund Alleyn étaient présents. M. Zeppetelli a souhaité la bienvenue à tous et présenté les expositions à venir de la programmation d’été dont la première phase débute avec celle d’Alleyn et Orchestrée, deux installations, une Orchestre à géométrie variable  (2013-2014) de Jean-Pierre Gauthier et l’autre data.tron (2007) de l’artiste japonnais Ryoji Ikeda. Nous avons eu l’occasion de voir celle de Jean-Pierre Gauthier en sa présence. Composée d’un assemblage de fils et d’objets trouvés, l’installation sonore permet d’entendre, sur une période de 68 minutes, 19 compositions différentes. Chaque fil d’une couleur différente a aussi une fonction différente. Le système de couleur facilite le montage et le démontage. Le résultat, sinueux et enchevêtré au plan visuel, intriguant au plan sonore, prend ici, selon l’artiste, sa forme définitive. Il s’agit de la troisième version. L’installation titille les sens, garde le visiteur en alerte et offre une expérience quelque peu déstabilisante à laquelle on prend plaisir.

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M. Zeppetelli a ensuite cédé la parole au commissaire Mark Lanctôt. Ce dernier a souligné l’ampleur de l’exposition (60 oeuvres sur 50 ans en plus d’un ouvrage), le caractère polymorphe de l’oeuvre d’Edmund Alleyn et celui d’inclassable qui en fait un artiste à part dans l’histoire de l’art canonique du Québec. Accorder une exposition rétrospective à un artiste de sa trempe découle aussi un peu de ce désir d’élargir les marges d’une histoire dont les automatistes, post-automatistes, plasticiens et post-plasticiens forment la trame. C’est tout à leur honneur. Depuis trois ans, le commissaire travaille de pair avec la fille de l’artiste, Jennifer Alleyn. « Nous y voilà enfin! », s’est-elle d’ailleurs exclamée avant d’affirmer sa fierté et son émotion de voir réunie en une exposition la trajectoire singulière de la carrière de son père passant d’un médium à l’autre, tantôt peintre, tantôt sculpteur, cinéaste ou photographe. Des oeuvres technologiques où homme et machine se complètent, elle a souligné l’actualité et le fait qu’Edmund Alleyn, fasciné par la fuite du temps, aura peut-être réussi à la déjouer tant plusieurs de ces oeuvres parlent au présent.

Dans mon atelier, je suis plusieurs

La conférence de presse a été suivie d’une visite commentée de l’exposition, avec le commissaire Mark Lanctôt et Jennifer Alleyn. De salle en salle, la carrière de l’artiste se déploie, divisée par période et en ordre chronologique. De salle en salle, « je suis plusieurs » prend tout son sens. L’impression de parcourir l’oeuvre de plus d’un artiste est frappante. De décennie en décennie, Alleyn se renouvelle et se réinvente. On comprend, comme le souligne sa fille, qu’il soit difficile à enseigner dans les cours d’histoire de l’art et que les professeurs se butent à cette oeuvre qui n’entre dans aucune petite case que l’on pourrait aisément cocher. La rétrospective du MAC en est d’autant plus pertinente qu’elle permet de saisir la complexité et l’évolution des motifs et du travail de ce coloriste de talent.

Les premières oeuvres, abstraites sans l’être absolument, datent du temps où il résidait à Paris. La crevasse (1960) présente déjà la mixité des oeuvres à venir puisqu’elle a été peinte pour être accompagnée d’une danse contemporaine et de musique. Les oeuvres de sa période indienne, elles, témoignent de son habileté à jouer avec les couleurs. D’une durée d’un an seulement, mais très intense, cette période coïncide avec la découverte d’images d’art autochtone de la côte Ouest. Après les avoir vues en vrai, l’artiste aurait été pris d’un sentiment de pillage et se serait tourné vers d’autres sources d’inspiration.

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La seconde salle fait la part belle aux oeuvres dites technologiques où hommes et machine se côtoient et où les motifs de schéma pullulent. The Big Sleep de 1968, restaurée et remise en marche et le célèbre Introscaphe de 1970 s’y retrouvent. Cette oeuvre était à l’origine prévue comme un prototype de cabine de cinéma public où pour deux francs, on pouvait voir un film de quatre minutes, accompagné de vibration et de variation de température ou d’éclairage de la cabine en lien avec le film projeté. On peut encore y lire les instructions dont la farfelue : Il est vivement déconseillé de fumer à l’intérieur ou encore Cet appareil n’est pas destiné aux claustrophobes. The Big Sleep, elle, donne l’impression d’entrer dans la tête de quelqu’un avec son mannequin entubé, sa coupe de cerveau illuminée et l’écran au centre projetant des images de nature.

Les autres salles présentent tour à tour, des portraits sur Plexiglas de gens ordinaires devant des représentations kitsch de soleil couchant (années 70), des bateaux en monochrome donnant le goût du voyage (années 80) ou encore la série des Éphémérides (années 90) qui regroupe de grandes toiles où un ensemble d’objets banals et quotidiens se trouvent emmêlés et recoupés par des coups de pinceaux colorés. L’ensemble de la carrière d’Edmund Alleyn ainsi exposé témoigne d’un colossal travail d’atelier, d’expérimentations et de recherche. Le visiteur reste sur un sentiment de plénitude et de respect devant l’ampleur de l’originalité et de la polyvalence de cet homme dont l’oeuvre trouve enfin ici toute l’attention et la reconnaissance qu’elle mérite.

 Crédit photo : © Carolanne Lamontagne/MatTV.ca

Texte révisé par : Annie Simard