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Exposition de Ragnar Kjartansson

Mélodies et mélancolie au Musée d’art contemporain de Montréal

ragnar bain

© Courtoisie Musée d’art contemporain de Montréal,  The Visitors, 2012 (arrêt sur image), Projection vidéo haute définition à neuf canaux, Dimensions variable , 64 minutes, Son: Chris McDonald, Vidéo: Tómas Örn Tómasson ©Ragnar Kjartansson; Avec l’aimable permission de l’artiste, Luhring Augustine, New York, et i8 Gallery, Reykjavik.  Photo: Elísabet Davids

 

Par : Maude Nadeau

Vous aurez sans doute reconnu cette image, mille fois vue dans le métro ou derrière un bus dans les derniers mois, celle de l’homme dans un bain, casque d’écoute sur la tête et guitare à la main. Il s’agit de l’Islandais Ragnar Kjartansson (prononcé Kyartanssone), artiste visuel et de performance qui s’expose en musique et en émotions au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC). Né en 1979 à Reykjavik, il a, dans les dernières années, représenté l’Islande à la Biennale de Venise en 2009, en plus de voir ses œuvres exposées à travers le monde. Depuis février et jusqu’au 22 mai, le MAC présente trois installations vidéos : A lot of Sorrow (2013), World Light : Life and Death of an Artist (2015) et The Visitors (2012) sur les thèmes de l’endurance, de la répétition et de la musique, thèmes chers et importants dans l’oeuvre de Kjartansson. L’exposition en cours est à ce jour la plus importante exposition muséale solo de l’artiste en sol canadien.

 

A lot of Sorrow, la première oeuvre offerte au visiteur est une vidéo immersive où le groupe américain The National interprète sa chanson Sorrow durant six heures consécutives, donc une centaine de fois. La performance a été captée devant public en 2013 au MoMa PS1. Le titre de l’oeuvre que l’on peut traduire approximativement par « beaucoup de tristesse », renvoie à la fois à la charge émotive qui s’accumule à l’écoute répétée de la chanson et au titre de celle-ci, Sorrow. Jouée plus de cent fois, cela fait effectivement beaucoup de « Sorrow »!

 

On y retrouve la notion d’endurance physique et psychique, ainsi que celle de répétition qui, dans ce cas, confère à l’oeuvre un aspect hypnotique et une force émotive indéniable. Installés confortablement dans le divan mis à la disposition des visiteurs, ces derniers ressentent par contraste l’intensité de l’effort des musiciens. Plus le visiteur se sent confortable, plus la situation dans laquelle les musiciens se trouvent semble pénible. D’ailleurs, le public présent lors de l’enregistrement accueille chaleureusement chaque répétition de la chanson comme s’il l’entendait pour la première fois. C’est à la fois drôle et une manière de soutenir le groupe dans leur expérience. Enveloppante, A lot of Sorrow a un effet quasi cathartique. Cependant, courage au visiteur qui tiendra plus d’une dizaine de répétitions. La longueur totale de l’oeuvre (6 heures) rend impossible son visionnement complet.

the national

Crédit photo: © Courtoisie Musée d’art contemporain de Montréal, Ragnar Kjartansson et The National, A Lot of Sorrow, 2013-2014, Vidéo à canal unique, 6 heures, 9 minutes, 35 secondes © Ragnar Kjartansson et The National; Avec l’aimable permission de l’artiste, Luhring Augustine, New York, et i8 Gallery, Reykjavik , Photo: Elísabet Davids

 

La deuxième installation vidéo World Light : Life and Death of an Artist a été créée en 2015 au Thyssen-Bornemisza Art Contemporary de Vienne où les spectateurs pouvaient assister au tournage. L’installation est une oeuvre épique et ambitieuse de 20 heures, 45 minutes et 12 secondes, ce qui la rend, comme pour A Lot of Sorrow, inaccessible à un visionnement total. Il s’agit d’un film tiré du roman en quatre livres, World Light, écrit entre 1937 et 1940 par Halldòr Laxness racontant l’histoire d’un jeune homme qui erre et croit qu’il sera poète.

 

Ragnar Kjartansson et ses acolytes ont tout conçu de A à Z, le scénario, les décors, les costumes et ils jouent eux-mêmes tous les rôles. La vidéo est projetée sans montage avec toutes les étapes du tournage sur quatre écrans disposés chacun dans un coin de la salle. Chacun correspond à un livre et l’action est diffusée de façon simultanée. Le résultat est intéressant, mais chaotique et cacophonique puisque les quatre livres s’entremêlent. Les artifices scénographiques, le jeu des acteurs et les erreurs de tournage arrachent un sourire et font de l’oeuvre une expérience somme toute agréable, mais à ne savoir où jeter son dévolu et à ne pouvoir suivre le fil de l’histoire, le visiteur se lasse plus ou moins rapidement.

world light

Crédit photo: © Courtoisie Musée d’art contemporain de Montréal, Ragnar Kjartansson and Friends, World Light – The Life and Death of an Artist, 2015, Vidéo à quatre canaux, Directeur de la photographie: Tómas Örn Tómasson, Commission de Thyssen-Bornemisza Art Contemporary, Vienna © Ragnar Kjartansson; Avec l’aimable permission de l’artiste, Luhring Augustine, New York, et i8 Gallery, Reykjavik.

 

La dernière oeuvre de l’exposition, The Visitors (2012) occupe la plus grande salle. Elle met en scène Kjartansson et huit de ses amis, dont l’ancien claviériste du groupe Sigùr Ros et les deux sœurs fondatrices du groupe Mùm, qui jouent une mélodie répétitive composée par David Thor Jonsson et Kjartansson dont les paroles sont des extraits de texte de son ex-femme, elle-même une artiste.  La vidéo de 64 minutes a été tournée au manoir de Rokeby, dans l’État de New York. Tous les musiciens jouent seuls, chacun dans une pièce différente de la maison, mais restent reliés entre eux par des casques d’écoute qui leur permettent d’entendre les autres. Sept écrans, chacun occupé par un musicien présenté à l’échelle 1:1, c’est-à-dire de la même grandeur que les visiteurs, sont accrochés tout autour de la salle. Deux autres sont suspendus dos à dos au milieu de l’espace d’exposition.

 

Les chœurs forment une ambiance feutrée, douce et enveloppante. On a envie de se bercer, de fredonner et bizarrement, puisqu’il s’agit d’une vidéo, de fermer les yeux. La charge émotive est puissante et porteuse. Que l’on apprécie les mélodies folk ou non, les harmonies captivent. Chaque musicien joue un peu comme s’il ne jouait que pour lui et cela se ressent dans l’atmosphère d’introspection et de mélancolie qui se dégage de l’oeuvre. La mélodie répétitive crée le même genre d’effet hypnotique, voire cathartique que A Lot of Sorrow. Il est difficile de s’y arracher. Les visiteurs déambulent, seuls ou en petits groupes, concentrés sur la musique comme les musiciens sur leurs instruments. Vers la fin de la vidéo, les musiciens quittent un à un leur pièce pour se rejoindre sur la véranda de la maison. Les visiteurs suivent leur mouvement, papillonnant d’un écran à l’autre, jusqu’à se retrouver tous ensemble, comme eux, brisant leur isolement pour porter leur attention au même endroit, dans l’ici et maintenant.

 

Bref, pour l’envoûtement, la charge émotive puissante, la musique qui reste en tête durant des jours, on ira voir et revoir cette exposition et laisser Ragnar Kjartansson bercer nos chagrins, jusqu’au 22 mai, au Musée d’art contemporain de Montréal.

© Musée d’art contemporain de Montréal, bande-annonce de l’exposition tirée de YouTube.

Texte révisé par : Matthy Laroche