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Entrevue avec Patrice Michaud

Une œuvre qui ne demande qu’à être accueillie

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Par Marie Eve Archambault

Patrice Michaud est dans le décor de la musique québécoise depuis déjà plusieurs années. Depuis 2018, l’auteur-compositeur-interprète a construit et déconstruit son 4e album en carrière intitulé Un grand voyage désorganisé. Le 20 septembre dernier, le chanteur a gentiment accepté de nous expliquer l’idée derrière quelques-unes de ses chansons.

Patrice, tu cumules succès après succès depuis plusieurs années. Pour ce 4e album, tu as voulu changer ta formule en étant plus systématique dans le processus. Qu’est-ce qui s’est passé pour que tu décides de changer ta façon de faire, qui de toute évidence, fonctionnait à merveille?

C’est une chance et j’en suis conscient, mais ça peut devenir un piège si on se dit : l’album a été tellement bien reçu que je vais rester dans les mêmes eaux et jouer safe. Penser comme ça, c’est le début de la fin et il ne faut jamais faire ça. Ça ne m’a jamais traversé l’esprit non plus. Le but de faire un album c’est d’aller ailleurs, de voir ce que j’ai à dire et de voir comment j’ai envie de le faire quand je change la donne.

Je me suis lancé le défi d’écrire tous les jours pendant 365 jours. J’ai accumulé beaucoup de matières premières pour ce disque-là, pour d’autres projets ou parfois juste pour moi pour me garder en santé artistiquement parlant. J’ai joué avec les formes habituelles de mes chansons pour voir ce qui allait en sortir de tout cela. Évidemment, dans ce genre de processus, il y a de la perte. Il y a des démarches qui ne mènent pas au résultat escompté. Il y a beaucoup d’essais-erreurs, et par la force des choses, j’ai eu le temps d’essayer beaucoup d’affaires.

Par exemple, quand tu joues au golf, lorsqu’il vente vers la droite, tu es tenté de frapper vers la gauche pour arriver entre les deux. Je ne crains pas d’essayer des affaires et de pousser loin dans la démarche parce qu’en cours de route, je reviens bien souvent à mes réflexes d’auteur-compositeur et je me dépose dans le milieu. C’est ce qui est arrivé avec cet album-là.

Tu as écrit pendant un an sans but précis. Je te cite « il y avait de la matière à chanson, à poésie, à monologue, à histoires pour enfants. » Comment as-tu réussi à faire le ménage dans tout cela et créer ses 11 chansons qui se trouvent dans cet album?

Quelquefois, il y a une phrase qui s’impose. C’est comme si elle flashait en néon, et j’ai tout intérêt à construire autour de cette phrase-là. Ce n’est pas rare dans mes chansons qu’il y a une phrase qui déclenche le travail.

Ce sont de nombreuses feuilles de papier. Ce sont des versions A, B, C, D, X de la même chanson. Par exemple, ces deux lignes-là, je sais que c’est du remplissage. Ce n’est pas ce que je veux dire, mais il faut que j’avance. C’est du temps et du travail pour avoir un projet qui se tient et des chansons qui se parlent dans un album tout en étant capables de vivre toutes seules.

Il y a aussi le travail des collaborateurs. Je me fis beaucoup à ma garde rapprochée. Quand je me bats contre moi-même, je me félicite ou je doute tout seul, il y a une étape très payante : celle de les mettre entre les mains de quelqu’un d’autre. Pour moi, cela a une incidence majeure sur mes chansons, et c’est très précieux.

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Dans la chanson Un point bleu pâle, tu rends hommage à l’ouvrage de Carl Sagan. Quel est ton rapport avec notre Terre?

Un point bleu pâle est l’une des chansons qui fait directement référence à un événement qui m’a fait beaucoup réfléchir ces dernières années et ce n’est pas du tout un événement d’actualités, mais il mène à des réflexions qui le sont. C’est l’envoi des sondes spatiales Voyageur 1 et 2 dans l’espace en 1977 (titre de la première pièce de l’album).

Il s’est passé deux événements majeurs en 1977. Il y a ça, et 4 jours plus tard, mes parents se mariaient. Cela a l’air fou, mais ce sont 2 pôles : un qui est physiquement ouvert et l’autre qui est très terre à terre. Tu te rends compte que l’album passe de l’un à l’autre constamment.

Un objet dans l’espace, ce n’est pas censé revenir. On met dedans tout ce qui peut nous définir comme si c’était une carte de visite ultime. On envoie cela le plus loin possible en espérant qu’il y ait un receveur. Puis, on va lui expliquer qui nous sommes. Ça me génère toutes sortes de réflexions qui ont été à la base de plusieurs chansons comme Golden Record qui est le nom du disque qu’on a mis dans les sondes.

Ce n’est pas seulement le voyage vers l’inconnu. C’est aussi le rapport de l’autre qui est à côté de nous : notre enfant, notre mère, la personne que l’on veut aimer… C’est la genèse de tout cet album-là.

Ma première chanson, 1977, raconte l’histoire d’amour fantasmée de mes parents dedans laquelle le gars a entendu parler de l’envoi de la sonde. Il dit : «Moi, ce que j’aurais mis là-dedans, ce n’est pas compliqué. Ce sont des feux de joie, du bon temps, ton sourire.»

Le point bleu pâle, qui est la dernière chanson sur le disque, est le titre de la photo que Voyageur 1 a pris de la Terre quand il était rendu le plus éloigné que l’on a jamais été. Avant d’être le titre de l’ouvrage de Carl Sagan, c’était une photo de nous. Carl Sagan est parti de cette photo-là pour dire qu’avant, le monde gravitait autour de nous, et pourtant c’est bien le contraire. Cette petite chose fragile est notre maison, et c’est la seule qu’on a.

Dans cette chanson, j’ai paraphrasé Carl Sagan. C’est une longue suite de définition personnelle de la vie. Qu’est-ce que la vie? Ça semble être une question bien compliquée, mais qui peut être bien simple. La vie c’est : des enfants qui courent dans le champ pour faire s’envoler un banc d’oiseaux. C’est deux amoureux qui s’embrassent dans la cabine d’essayage parce que c’est interdit. Tout ça s’entremêle, et on passe du macro au micro souvent dans une seule et unique chanson.

Tu as décidé d’en faire une narration plutôt que de la chanter. Pourquoi?

Je l’entends assez vite lorsque j’écris quelque chose et que ça ne va pas sur le territoire commun de la chanson. Ce texte-là, j’avais vraiment envie de le parler. Le ton allait mieux avec le contenu et je trouve que c’était approprié de terminer un album comme ça. Cependant, j’avais envie d’un refrain chanté. Je ne m’entendais pas le chanter. Je voulais que ce soit porté par des voix jeunes. Depuis un bon moment, j’avais déjà trouvé ces voix pleines d’espoir.

La chanson était déjà sur les rails pendant Star Académie. Je me rappelle lorsque Shayan Heidari a quitté l’aventure, je suis allé le voir et je lui ai dit : Toi mon garçon, je n’en ai pas fini avec toi. J’ai besoin de toi. J’ai pensé aussi à Rosalie Ayotte alors je l’ai invitée. Ce fut super comme session d’enregistrement et cela a donné exactement ce que je voulais. C’est toujours riche de s’entourer et d’avoir la contribution d’artistes du milieu. Il me fallait une candeur et une fragilité que je savais que j’allais avoir avec ces deux jeunes-là. Je suis très fier de cette pièce-là et c’est un beau point final à l’album.

On sait que la pandémie n’a pas aidé les artistes. Certains craignaient de passer dans l’oubli. De ton côté, tu es resté très actif. Lorsque tu parles de  Vous êtes ici, tu dis qu’il faut se regarder dans le miroir, que c’est un mal nécessaire. Avec tout ce qui s’est passé dans la dernière année, as-tu dû effectuer un travail d’introspection?

Absolument! Il y a eu plusieurs périodes d’introspection. Je pense que le fait d’écrire pendant 365 jours, c’est un sacré exercice d’introspection. Les journées quand tu n’as rien à dire, il faut que tu ailles plus loin que ça. Tu te ramasses dans des zones où tu n’es pas allé souvent.

Vous êtes ici est amené avec un sourire. J’avais envie de tracer le portrait d’un peu tout ce qui me tape sur les nerfs. Évidemment, les travers de l’humanité qui m’énervent le plus sont les miens. Je me suis beaucoup servi de moi-même là-dessus : le rapport à l’image, être victime des conventions et de son propre confort… J’ai essayé de regarder en face ces aspects-là et je me suis ouvert là-dessus. Une chanson, c’est fait pour qu’on s’y reconnaisse pour le meilleur et pour le pire. Là, tu es témoin du pire.

Dans le refrain, on dit qu’on a évolué, et que maintenant, Vous êtes ici, comme sur une carte. On est rendu là alors qu’est-ce qu’on fait? Je trouve qu’il y a une dose d’espoir. Même quand je suis dans le plus sombre de mon écriture, il va toujours y avoir un rayon de lumières quelque part. C’est plus fort que moi. Je me dis : «On a fait ça. Mais est-ce qu’on aurait pu faire autrement?» Et ça nous ramène à la chanson 1977 quand je dis : « Tu dis qu’on pourrait faire mieux. »

Toutes les chansons sont liées entre elles!

J’avoue. C’est peut-être un album où les chansons ressemblent à un portrait de famille. Chaque chanson est parentée à une autre ou des autres. C’est particulier parce qu’on vit dans une ère où une chanson doit se débrouiller toute seule. Je pense qu’elles peuvent le faire, mais quand on les met en commun, je trouve que ça forme un autre objet. Si on écoute l’album, il y aura un sens que ça va générer parce que tu les écoutes ensemble.

Et tu dis que le doute demeure la plupart du temps. Tu as déjà sorti 5 chansons sur 11.  Doutes-tu encore du succès de cet album-là?

Je ne pense pas en fonction du succès. C’est trop dangereux et ça fait trop mal quand ça ne se passe pas. On est de petite bête fragile. Lorsqu’on doute, c’est parce qu’on a enlevé toutes les pelures. Il y a une démarche très intimiste dans cet album-là. Ce sont les zones les plus sensibles de ma personne : le rapport aux enfants, les parents, l’amitié, les constats amoureux qui sont voués à l’échec. Sans oublier les gens qui ont tellement à donner et qu’il n’y a personne pour recevoir ça! «Je suis un gars classé général. Au fond de moi c’est élégant, c’est épatant.» Ces gens-là, j’aimerais les voir plus souvent. Je me méfie de l’uniforme. L’uniforme, ce n’est pas inspirant.

Ultimement, j’aimerais que les gens l’écoutent avec plaisir. J’ai mis mon cœur dans cet album-là autant dans le souriant que dans la profondeur. Je souhaite que les gens l’aiment. Les gens recevront l’album comme ils le veulent, mais je veux que ça se rende le plus possible.

Un grand voyage désorganisé de Patrice Michaud est maintenant disponible sur toutes les plateformes numérique. Pour ceux et celles qui auraient manqué son lancement d’album virtuel tourné à l’atelier Jean-Brillant, il est possible de le visionner ici.