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Concert à l’aveugle de l’Orchestre symphonique de Montréal

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© Photo officielle

Par : Maxime D.-Pomerleau

Plutôt que de suivre la tendance à la démesure prônée par les grands spectacles – avec de plus grandes lumières, des projections en arrière-plan, de la réalité virtuelle et des lance-flammes – le directeur musical de l’Orchestre symphonique de Montréal Kent Nagano a proposé de faire tout le contraire : un concert dans le noir, les yeux fermés, pour plonger au cœur de la musique, et de la musique seule. C’est donc au Concert à l’aveugle : une expérience sonore qu’était convié le public vendredi soir, à la Maison symphonique de Montréal.

Ce concert hors série mettait en vedette les solistes André Moisan à la clarinette basse, Olga Gross au piano et l’organiste Rashaan Allwood, sous la direction du chef d’orchestre Kent Nagano. Pour l’occasion, l’OSM accueillait un nouveau membre, le bluesman émérite Steve Hill, à la guitare électrique. Le choix des pièces était particulièrement inspirant, d’autant plus que plusieurs d’entre elles sont étroitement associées à la culture pop ou au cinéma. À l’entrée de la salle, on donnait des masques de nuit pour se couvrir les yeux et être dans la plus totale obscurité.

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© Antoine Saito

En ouverture, des pièces qui brouillent certainement les codes de concert avec des sons explorant l’espace, entrecoupés de silences : Atmosphères de György Ligeti suivie de Klavierstück I de Karlheinz Stockhausen. Petites lucioles sonores qui titillent les oreilles chacune leur tour, les notes envoyées par l’orchestre nous déstabilisent. Finalement, une improvisation inspirée de la musique de Frank Zappa et une adaptation pour orchestre à cordes de la pièce culte Purple Haze de Jimi Hendrix, terminent ce premier segment d’exploration du rock psychédélique, avant d’entamer la partie plus « classique ».

Puis, les premières notes de Toccate en ré mineur de Johann Sebastian Bach (J.S. Bach de son petit nom) résonnent. L’une de mes compositions classiques préférées, et à mon avis l’une des plus impressionnantes (et terrifiantes!) pièces musicales jamais créées. Si on l’associe à Disney et au film Fantasia, ou au classique de 1962 Le fantôme de l’opéra, pour ma part elle a marqué mon enfance avec le générique d’introduction de la série animée Il était une fois… l’Homme (avec la Terre qui explose à la fin). La sensation de vertige et de petitesse devant l’immensité évoquée par l’oeuvre, incarne tous les tourments du trépas. Sur le grand orgue d’orchestre de la Maison symphonique, l’effet est encore plus saisissant. Ce dernier porte le nom de Grand Orgue Pierre-Béique, en hommage au fondateur et premier directeur général de l’OSM.

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© Antoine Saito

Les Montréalais ont ensuite droit à la première mondiale de The Electric Candlelight Concerto, une création pour orchestre et guitare électrique composée par John Anthony Lennon, ami proche de l’OSM. L’idée lui est venue en 2016 de dessiner les contours d’une nouvelle œuvre, destinée à la guitare électrique et à l’orchestre, une rencontre située dans le « quatrième monde » de la musique, concept illustrant le mélange des musiques du monde, musiques du passé et techniques électroniques modernes. L’acoustique propre à la Maison symphonique est aussi l’inspiration de départ de cette pièce en cinq mouvements. L’exécution représentait tout un challenge pour Steve Hill, qui a relevé le défi haut la main!

En finale, des extraits de Ainsi parlait Zarathoustra, op. 30, composition épique de Richard Strauss, dont l’introduction (Einleitung) est éternellement associée au film 2001 : Odyssée de l’espace. Stanley Kubrick a en effet popularisé la pièce du compositeur allemand, à ne pas confondre avec la valse Le beau danube bleu (An der schönen blauen Donau) de l’Autrichien Johann Strauss, aussi dans le mythique film. On sourit en s’imaginant projeté aux confins de l’espace, flottant dans la noirceur du cosmos.

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© Antoine Saito

Sans repères visuels pour s’accrocher à un musicien et garder notre concentration, les pensées finissent parfois par prendre le dessus sur la musique, ce qui n’est pas une mauvaise chose! C’est dire le pouvoir évocateur de la sélection qui, offerte ainsi, donne l’entière liberté aux auditeurs de l’intégrer et la savourer, pour se laisser émouvoir, chacun à sa manière.

Avec son tournant populaire, l’Orchestre symphonique de Montréal fait vivre à son public des événements artistiques uniques, signifiants et rassembleurs. Cette fois-ci, il a réussi à transformer l’expérience collective du concert à une plus intime, presque de recueillement, ancrée dans le moment présent. Ce type de pause donnée à nos yeux est si rare, dans nos vies effrénées où nous sommes surstimulés. De plus, le concert a permis aux spectateurs aveugles et malvoyants de finalement vivre la même chose que les autres membres du public. On espère que l’OSM revienne avec cette initiative originale et inclusive.

#OsmConcerts

Photos : Courtoisie Orchestre symphonique de Montréal / © Antoine Saito

Texte révisé par : Annie Simard