Montréal perdu dans ses pensée, quelques notes pour apaiser

Par : Marin Agnoux
On sait que les beaux jours reviennent, que le printemps fleurit, quand les premiers concerts du Festival de Jazz sont là. Devant le MTelus, ce samedi 10 mai, la foule s’amasse dans la file pour avoir sa place au premier rang de l’artiste aux multiples facettes, Nils Frahm.
La salle, pleine, fixe, sans lâcher du regard, les machines et les synthétiseurs installés, en attendant que les pas du compositeur frôlent la scène. Après quelques longues minutes, Nils arrive sous les projecteurs à moitié en courant, heureux, comme un enfant qui montrait pour la première fois son visage à son public. Excité de jouer sa première pièce, il salue le monde, et se précipite près de ses machines pour enfiler des gants et les tremper dans l’eau. Dit comme ça, cela peut sembler un peu incompréhensible, l’on cherchait d’ailleurs tous à comprendre sur le moment.
Nils Frahm se retourne, gant à la main, et s’approche d’une étrange roulotte en cristal, pose ses doigts dessus, tout commence ici. Harmonium In The Well résonne aux quatre coins de la salle. Cet instrument cristallique sans nom joue de longues notes allongées, aux couleurs d’un violon au son clair et précis. Les poèmes sonores de Nils s’écoutent et se regardent attentivement.

Peu après sa première composition, Nils Frahm prendra un micro pour à peine quelques instants, pour la seule fois de la soirée. À la voix un peu timide, il semble être un personnage assez introverti; il demande à son public de pouvoir l’enregistrer pour ensuite le passer dans un enregistreur à bande, le sampler, et jouer par-dessus. À partir de ce moment-là, l’on n’a plus entendu Nils dire un mot, seul entouré de monde, il repart dans ses pensées, une certaine solitude scénique qui semble apporter beaucoup de sérénité.
Il se balade entre tous ses instruments, les Rhodes, les pianos, les synthétiseurs, les machines, les boîtes à rythmes… il en joue en superposant des nappes de musique les unes au-dessus des autres, de manière évolutive et expérimentale. Il est difficile de décrire ce que fait Nils Frahm, sûrement quelque chose entre jazz, classique et musique électronique.
Le concert avance, le public se laisse porter, silencieux, chacun songe à sa manière, des rêves romancés par la musique. On se sent épris d’une magie enfantine que l’on n’avait pas ressentie depuis si longtemps, celle où l’on s’émerveille devant les vastes paysages lorsque l’on part en voyage. La musique s’ancre parfois d’une profonde mélancolie, mais que l’on a envie de chérir, celle qui finira par nous faire sourire.
Plus le temps avance, plus la scène se dévoile, tout se transforme et devient la chambre de Nils Frahm. Il joue ses pièces, Briefly, Says, Hammers… comme s’il était en train de les composer devant nous. Des lumières jaunes tombent du plafond, comme des lustres, mais même dans les moments les plus intenses, elles restent les mêmes. C’est cette scène sans artifice qui crée l’intimité prenante du concert.
Contemplatif et apaisé, la notion du temps et de l’espace complètement effacée, l’on n’a plus envie que ça s’arrête. Pourtant, l’on va bientôt devoir sortir. Mais pour un dernier instant, Nils Frahm pose ses mains de velours, effleure le piano. Il nous offre une dernière fois la possibilité de songer. Enfermé dans sa musique, entouré d’un mur de son, Nils se laisse aller une dernière fois dans sa bulle, seul avec son piano. Sans un mot. Le concert s’arrête. Il se lève, heureux comme au premier instant sur scène, et quitte en saluant comme il est venu. Dans nos pensées, l’on sort de la salle, silencieux.