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#CCF16 : Sarah Toussaint-Léveillé et Sylvie Paquette

De la poésie pour contrer les intempéries

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© Gabriel Talbot/ MatTv.ca

par Mélissa Thibodeau

Deux générations d’auteures-compositrices-interprètes faisaient leur rentrée montréalaise mardi soir au Cabaret Lion d’Or, grâce au Coup de coeur francophone. Si la plus jeune, Sarah Toussaint-Léveillé, venait y présenter ses propres compositions majoritairement tirées de son album La mort est un jardin sauvage, Sylvie Paquette venait y livrer les textes de l’écrivaine Anne Hébert, qu’elle avait transformés en chansons et rassemblés en un album, Terre originelle. Retour sur une belle soirée poétique de novembre.

Je ne voudrais pas m’éterniser sur les actualités de la semaine, mais la journée de mardi avait été tout particulièrement lourde. J’avais hâte de m’installer au Lion d’Or et de voir pour la première fois Sarah Toussaint-Léveillé, dont le second album La mort est un jardin sauvage m’avait secoué jusqu’au plus profond de mon cœur après sa sortie en février dernier.

C’est d’ailleurs cette dernière qui a ouvert la soirée. Non sans tout d’abord nous avoir dévoilé le clip officiel pour l’extrait L’Escargot, réalisé par Alex Boya, Sarah n’était pas encore sur scène, mais elle avait déjà toute notre attention.

Elle arrive enfin, magnifiquement accompagnée : Jérémi Roy (contrebasse), Marianne Houle (violoncelle) et Fany Frésard (violon). Elle nous décrit la première chanson de la soirée Ta tempête comme étant un hymne à la femme. « Mon ambition, ça serait que tout le monde chante ça le 8 mars à la Journée de la Femme… pis au hockey aussi! », lance-t-elle à la blague.

Elle entonne le premier couplet : « Ce cri que tu entonnes. C’est la vie que tu donnes. Ton corps ta tempête, Et tes souffles qui tonnent, Le temps n’existe plus. Il loge en ta cadence. Au rythme de ton cri. Au rythme des silences » Alors que l’histoire se brasse chez nos voisins du sud et que l’horizon est tout particulièrement flou, cette poésie me revigore.

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Les chansons s’ensuivent, elle n’arrête pas d’impressionner. Sa voix, chaleureuse et feutrée, n’est jamais forcée. À l’instar des arrangements musicaux, tout est dans le ton, tout est dans la mesure, la musique rend service aux paroles et les paroles donnent vie à la musique. On reconnaît une culture musicale très riche alors que sa folk devient pop, devient jazz, devient musique de film et redevient folk.

En plus de sa maîtrise vocale et d’être une merveilleuse guitariste, elle nous surprend avec des sifflements habiles et un talent de beatbox. Chanter semble sortir d’elle de façon si fluide, elle donne l’impression que c’est si facile de se donner en spectacle sur scène. Parmi les titres qui me restent en tête, les magnifiques L’Escargot, J’ai perdu un ami, Ghost (tiré de son premier album) et Dans mon cahier (la musique me glisse entre les doigts). Et parce que tout n’est pas que noirceur, on a été agréablement surpris avec Chim Chim Cher-ee, un extrait de la comédie musicale Mary Poppins.

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Elle a commandé notre attention mardi soir et nous avons obéi. La foule réunie écoutait l’auteure-compositrice-interprète dans un silence complet, sauf bien sûr entre les chansons afin de l’acclamer. Elle termine son set avec La Guitomane, mais elle reviendra pour un rappel en nous offrant la chanson-titre de son premier album La mal lunée, concluant ainsi 1 h 15 de spectacle qui est passé trop vite.

Sylvie Paquette

Entre les deux plateaux, il était difficile de ne pas consulter notre téléphone cellulaire question de se tenir à jour. J’ai tenté de ne pas laisser l’actualité atténuer mon expérience de ce que Sylvie Paquette voulait nous offrir. La proposition est bonne : reprendre en chansons des textes poétiques de l’écrivaine Anne Hébert.

Après une pause pour nous remettre de nos émotions, on nous plonge dans le noir. Des hauts-parleurs, nous pouvons entendre la voix de l’auteure de Kamouraska lors d’une entrevue donnée dans les années 80. La musique commence, Sylvie nous chante ensuite De l’amour. On était prêt à s’attendre à la fin du monde. Sylvie nous invite plutôt à se mettre à l’abri dans la poésie d’Anne Hébert.

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Elle nous confie ensuite que ses 50 ans ont été parsemés de bouleversements personnels qui l’auront poussé à se plonger davantage dans l’oeuvre poétique de l’auteure de Kamouraska.  « Je pensais que je porterais les mots d’Anne Hébert, mais finalement c’est la poésie d’Anne Hébert qui m’a portée. » De là est venu le projet de mettre en musique, des mots qui lui auront été de confort dans une période tumultueuse. De fil en aiguille, un album est né, coréalisé par Yves Desrosiers et Philippe Brault.

Ce dernier l’accompagnait d’ailleurs sur scène, mardi, aux synthétiseurs. Elle avait également fait appel aux talents du guitariste bien reconnu Rick Haworth ainsi que Guillaume Bourque à la clarinette basse. L’oeuvre était belle et bien livrée. Elle invite un poète de la mémoire, le chanteur Michel Faubert à venir se joindre à elle sur scène. Ensemble, ils chanteront deux extraits dont Marine du recueil Songes en équilibre, publié en 1942, en pleine guerre mondiale.

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On ressentait une petite nervosité de la part de Sylvie. Elle nous avoue d’ailleurs que c’était son premier spectacle depuis longtemps. Mais une fois les présentations établies, on reconnaît la générosité et l’authenticité de l’artiste. Même si ce n’est pas toujours évident de transformer de la poésie qui a du vécu en chanson, Sylvie réussit là où l’on reste dans la simplicité, sans les superflus. Elle donne une nouvelle vie aux textes. Ça nous donne envie de découvrir une oeuvre riche afin de la ressentir nous aussi.

De notre «bunker» du Lion d’or, on se sentait presque en sécurité de la vie extérieure, si ce n’était que pour quelques heures. Heureusement qu’il y a la musique pour apaiser les tourments.

Crédit photo : Gabriel Talbot/MatTv.ca

Texte révisé par : Matthy Laroche