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Vice et vertu : Montréal en trois actes

Nouvelle création de Les 7 doigts de la main

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© Julie Delisle/MatTv.ca

Par Maxime D.-Pomerleau

Montréal est faite de paradoxes. Lieu privilégié à l’époque de la prohibition pour ses bars clandestins, ses cabarets et maisons closes, son passé catholique l’empêchait toutefois de s’émanciper. Ces symboles nourrissent notre imaginaire populaire et continuent de fasciner. La nouvelle création du collectif Les 7 doigts de la main revisite le red light montréalais, à l’époque où l’escouade de la moralité tentait de combattre certains péchés capitaux. La première était présentée par le festival Montréal Complètement Cirque, qui se termine ce dimanche.

C’est donc dans l’antre de la Société des arts technologiques, sur la Main, qu’on était conviés à l’expérience déambulatoire Vice et vertu. Plusieurs s’étaient mis sur leur 36 des années 40 pour se fondre parmi les artistes magnifiés par l’aura magique du passé. Séparée en trois actes, l’expérience débutait dans la salle principale du rez-de-chaussée, présentant certains personnages qui nous suivraient tout le long du spectacle. Impossible de tout voir, donc, avec l’action prenant place à différentes stations.

C’est toutefois sur la scène principale que l’on aura droit au premier numéro de burlesque, rendu célèbre par Lili St-Cyr, qui s’est fait réellement arrêter durant le numéro reproduit avec charme par Lady Joséphine, la reine actuelle de la scène burlesque montréalaise. Lili contournait la loi en terminant son numéro plus habillée qu’au début. Une autre preuve qu’on n’a pas besoin d’enlever des vêtements pour séduire et émoustiller la foule.

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La première partie, se déroulant dans une autre section de la salle, nous emmenait en taxi au 1244, rue Stanley, alors un ancien bar de pari et de gambling. Les tables de jeu et le bar deviennent plateformes de jongleries et on entre vite dans l’action avec un segment d’accro cent fois meilleur que tous les films de gangsters hollywoodiens.

Un jeune homme du public s’est fait entraîner sur le lit baldaquin, plutôt heureux d’être entouré de trois fabuleuses contorsionnistes, qui se lancent dans une série d’acrobaties sur les poteaux du lit. Le pole dancing a atteint un nouveau sommet de sensualité avec ce numéro lascif. L’avantage d’être en fauteuil roulant et cachée par la foule devant soi : Betty Bonifassi vous dit de venir près d’elle, et qu’elle va chanter pour vous. En effet, la chanteuse est parfaite pour incarner les femmes fortes de cette époque, et on retrouve d’ailleurs dans la trame sonore une pièce de son répertoire de chansons noires. Elle n’a cependant pas toujours été mise en valeur, étant parfois dans un coin sombre ou en retrait de l’action.

Une incursion du côté d’un tailleur dont le client, entre deux essais, se livre à de l’équilibrisme sur une plateforme rotative. Les courtes figures présentées faisaient penser à du patinage artistique à l’envers. Il y a eu peu de solos durant la soirée, et celui-ci était réussi. Il faut cependant parler des contraintes liées aux déplacements dans cette première partie. On comprend l’idée d’investir totalement le lieu, mais on perd beaucoup de temps à trouver la meilleure place pour voir l’action, où tout simplement, on se retrouve éloignés du pôle, et on en manque la moitié. Il y aurait aussi moyen de resserrer la durée du segment, en éliminant des allers-retours et en valorisant des scènes qui entoureraient le public, plutôt que ce dernier ne se déplace constamment. Un premier tableau inégal donc, mais dont le chaos sied bien à Montréal.

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C’est dans la satoshpère que l’on rencontre véritablement Les 7 doigts, connus pour leur haut niveau d’exécution technique, mêlé à une poésie urbaine. Leur signature est bien présente dans ce court segment immersif d’acrobaties aériennes, qui nous amène chez Schwartz’s, à l’église et sur le mont Royal. D’abord avec le numéro de barre russe débuté sous les néons pour se terminer sous la Voie lactée, exécuté parfaitement par le trio. Pas le temps de redescendre sur terre qu’on nous emmène à l’église, où Pax Plante (Gabriel Cloutier-Tremblay) s’interroge sur ses vices cachés. Pour illustrer ses tourments et désirs, un magnifique numéro de cerceau d’Alexandra Royer, vêtue d’un costume couleur chair scintillant. Le clair-obscur ajoutait à l’aura du personnage énigmatique. Sous la musique d’Alexandre Désilet et de Mykalle Belinski, on tombe en transe dans ce numéro d’agilité envoûtant.

Après une course virtuelle entre les arbres du mont Royal, c’est un rêve éveillé que nous offrent Les 7 doigts, avec un numéro de main à main comme eux seuls savent en faire, agiles et audacieux. Le couple était particulièrement habile dans les lancées et attrapées, une autre marque de commerce de la compagnie. Il n’était pas si intéressant de suivre les gestes des acrobates en même temps sur la vidéo, cela était un peu trop plaqué ou appuyé; on aurait pu y aller dans un visuel plus abstrait, qui aurait soutenu la performance et utilisé le dôme au maximum, au lieu de rester dans le concret.

Si vous avez manqué l’illumination du pont Jacques-Cartier ces dernières semaines, vous pourrez vous reprendre à Vice et vertu, car le dernier numéro dans la satosphère nous emmène sous le pont, un soir de feux d’artifice. Le mât chinois est aussi une discipline maîtrisée des 7 doigts, particulièrement par William Underwood. Faire du breakdance autour d’un mât de 25 pieds de haut? Rien de plus facile pour les artistes! Avec du sampling où le nom Hochelaga ressortait souvent, les circassiens ont enchaîné chorégraphies, figures d’équilibre, main à main et feintes de chutes sur des rythmes dynamiques, dans un décor visuel enlevant. Un numéro très réussi pour terminer ce deuxième acte.

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Le troisième tableau, présenté à place de la Paix, est particulièrement réussi, sous plusieurs angles. D’abord, il est bon de se retrouver à l’extérieur, après avoir passé plus de deux heures entre les murs de la SAT. Les désagréments de l’été se font par contre sentir avec une température basse et un vent bien présent, qui contribuaient, involontairement, à la puissance du segment. On se retrouve à une manifestation pour le droit des femmes, initiée par Léa Roback, campée par Marianne Dansereau. Celle-ci évoque divers problèmes de la vie intime, témoins de la vie dure des ouvriers, qui boivent la subsistance de leurs enfants. S’ensuit une scène d’acrobaties dans la tradition clownesque, d’une scène de violence conjugale. Le pari était risqué de présenter ainsi une scène d’agression, sur de la musique de cabaret. Loin de banaliser le geste, il démontrait plutôt l’absurdité de ce dernier.

Le sympathique sketch de baptême catholique était un chouette clin d’œil à la tradition d’amuseurs publics, où les calices-diabolos changent de place et disparaissent, laissant le prêtre confus devant le mystère de la foi. « J’ai dû manger un hostie magique… je vais aller m’étendre dans le jubé », dit-il, avant de laisser la scène à Roback. La militante féministe y va d’un discours critique sur la société qui, hélas, est encore actuel. Soudainement, un homme encapuchonné fait irruption dans la scène, titubant, un comédien à ses trousses. Il agrippe une partie du décor et tombe à la renverse. Le spectacle est interrompu, de l’assistance est portée à l’homme, et Dansereau reprend son texte, pressée par le temps. Elle parle de son frère, de la tendresse et de la fierté dans la voix. L’homme esseulé revient à la charge quelques minutes plus tard et l’on comprend qu’il est ce frère disparu, itinérant et malade. On y a tous cru.

Jean-Philippe Cloutier se lance dans l’élévation d’une structure de bois, où il réalisera différents équilibres. La manœuvre est impressionnante, surtout avec la vidéoprojection 9 X [MTL] de Gabriel Poirier-Galarneau et de Vincent Bilodeau sur le mur arrière de l’Hôtel Zéro 1, sorte de collage animé psychédélique sur l’Expo 67. Des hamburgers tombent du ciel, des bambins blonds brandissent la note 8 (alors que l’acrobate est tout en haut), ça frise l’aliénation et, de ce point de vue, l’image est totalement surréaliste.

Ce personnage, dont la santé mentale est, elle aussi, en équilibre précaire, rappelle la plupart des individus qui peuplent ce parc, de jour comme de nuit. Un message puissant lancé à la population, et aux instances municipales, qu’on a encore du chemin à faire pour réchapper les François Robert de ce monde. Un troisième tableau d’une sensibilité étonnante, qui a pris tout le monde par surprise.

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Après une boutade adressée au public, le comédien invita ce dernier à l’intérieur, pour la fin de la grande fête de Vice et vertu. Un numéro de jonglage avec boîtes de cigares (expertise de Eric Bates) au son de Betty Bonifassi. Jean Drapeau décide de se présenter au élections municipales de Montréal et se fait porter en crowd surf par la foule. En terminant, le directeur artistique Samuel Tétreault est monté sur scène et a invité les concepteurs et les artistes pour un dernier salut, nous permettant d’admirer une dernière fois la recherche et la conception des costumes, de Camille Thibault-Bédard. On passera sur les textes trop récités et les erreurs d’exécution, car les artistes ont le temps d’habiter leurs personnages au long des représentations. Soulignons l’animation de Krin Haglund, qui apportait sa touche de vaudeville au burlesque, et qui a souvent démontré ses talents d’équilibriste et de contorsionniste au cours de la soirée.

Des personnages présentés mercredi soir à la SAT, il en reste un seul encore vivant aujourd’hui : Armand Monroe, qui était brillamment interprété par le comédien Vincent Roy. Aujourd’hui âgé de 74 ans, il a été remercié justement par l’un des metteurs en scène, Isabelle Chassé : « C’est grâce à des gens comme lui qu’on profite de nos libertés aujourd’hui. Merci ». Moment fort émouvant pour clore ce spectacle.

Les 7 doigts de la main présenteront Vice et vertu jusqu’au 6 août à la Société des arts technologiques, dans le cadre du 375e de Montréal.

#complètementcirque

#375mtl

Photos : Collaboration spéciale Julie Delisle/MatTv.ca

Texte révisé par : Johanne Mathieu