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Théâtre : Qui a peur de Virginia Woolf?

Un carnage psychologique

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© François Brunelle/Duceppe

Par Jean-Baptiste Henry

Qui a peur de Virginia Woolf? est l’oeuvre majeure de l’auteur dramatique américain Edward Albee. Montée pour la première fois à Broadway en 1962, elle a été récompensée une année plus tard par un Tony Award et par le New York Drama Critics’ Circle Award. Albee, l’auteur aux trois Pulitzer, est l’un des maîtres de ce théâtre intimiste et psychologique, critique des dérives du modernisme et des failles de la société américaine des années 1960. Perfidie de la bourgeoisie, troubles névrotiques, inquiétudes face à ces idées politiques nouvelles qui se rependent… Trois thèmes que l’on retrouve dans l’œuvre montée ici par Serge Denoncourt dans une traduction de Michel Tremblay.

Martha et Georges forment un couple de quadragénaires vivant sur un campus de la Nouvelle-Angleterre. Ils invitent un jeune couple de collègues fraîchement installés, Nick et Honey, à terminer chez eux une soirée commencée en grandes pompes chez le père de Martha, doyen de l’université. S’en suit un enchaînement de jeux sordides, d’alcool et d’humiliations — comme si les deux protagonistes cherchaient à se détruire face à des témoins qui seront bientôt entraînés dans les amusements à la lisière du sadomasochisme de Georges et de Martha. Une tension permanente qui trouvera son sens à la fin de la pièce, laissant le spectateur pantois, presque sonné.

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Jeux de rôles

C’est à un mythe — reprit notamment à l’écran par Mike Nichols en 1966 avec Elizabeth Taylor et Richard Burton — que Serge Denoncourt s’attaque. Il place les personnages dans un décor réaliste des sixties. L’atmosphère confine à l’oppression et le plateau devient un lieu sordide où l’on assiste à la mise à mort symbolique de chacun des personnages. Le jeu de Normand d’Amour, dans la peau de Georges, est énergique, frontal. Il incarne ce professeur raté avec subtilité, oscillant entre l’image d’un éternel perdant et celle d’un homme dont l’intelligence terrasse ses partenaires. Maude Guérin campe une Martha au bord de la crise de nerfs tout au long du spectacle. Quant aux jeunes Kim Despatie et François-Xavier Dufour, ils parviennent à s’imposer face à leurs aînés — malgré une dimension caricaturale donnée au personnage d’Honey.

Une pièce sobre et minimaliste, fidèle au texte d’Edward Albee. Qui aurait toutefois gagné en concision, comme s’il fallait mettre une distance entre les spectateurs et les comédiens là où l’on voudrait rester dans les sphères de l’intime, du psychologique.

À l’affiche du Théâtre Duceppe jusqu’au 28 mars 2015.

Crédit photo : © François Brunelle/Duceppe