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Hommes en guerre

Le verbe comme arme dans l’Iliade

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© Gunther Gamper

Par : Sébastien Bouthillier

Les guerriers expriment leurs craintes, implorent les dieux, évoquent la paix et la légende de leurs noms héroïques que la postérité grecque leur accordera s’ils meurent sur le champ de bataille. « Ma mère m’a dit quel serait mon destin : si je reste ici, à Troie, je mourrai, mais ma gloire sera éternelle; si je rentre chez moi, dans ma terre, il n’y aura pas de gloire, mais j’aurai une longue vie, avant que la mort, en marchant, me rejoigne », se souvient fatalement Achille.

Épopée chantée, l’Iliade contient le récit de six jours d’une guerre opposant les Grecs aux Troyens depuis près de dix ans. Aucun coup n’est porté sur scène, aucune arme n’est montrée, les émotions sont exprimées poétiquement. La beauté de la pièce repose dans le fait que les braves guerriers ont peur, craignent, doutent, s’ennuient de chez eux, mais qu’ils parlent d’amour, d’amitié, de courage et de fierté dans une langue rythmée et acérée pour s’enorgueillir.

Avec Antioche, jouée dans la petite salle adjacente comme pour lui répondre en écho, l’Iliade illustre le dilemme de l’héroïsme et questionne la nécessité d’évoquer la guerre pour établir la paix.

Emmanuel Schwartz, en demi-dieu Achille, s’éloigne du champ de bataille après qu’un oracle lui eut dit que les siens vaincront s’il participe aux combats, mais qu’il périra. La mort de son ami Patrocle (Émile Schneider) provoque une colère qui l’incite à reprendre les armes, vengeur, pour affronter le redoutable troyen Hector (Jean-François Nadeau). En chœur, les guerriers relatent leurs exploits sans taire leurs faiblesses; ils miment le récit dans des chorégraphies qui transportent mille ans avant notre ère.

La musique post-industrielle, créée par Stéfan Boucher, assourdit la grande salle et jette les spectateurs dans le tumulte de la guerre. Les sons graves, aux résonances métalliques, que les basses amplifient, plongent le public dans une sinistre atmosphère où le jour devient aussi lugubre que la nuit. Avec Olivier Landry-Gagnon à ses côtés, les percussions de Boucher rythment la guerre à l’âge de bronze.

Si l’épopée des guerres troyennes s’étend sur une décennie, le metteur en scène, Marc Beaupré, a mijoté sa version de l’Iliade près de sept ans avant la première représentation. C’est seulement en réécoutant une chanson de Boucher, il y a cinq ans, qu’il a décidé de concrétiser son projet homérique, qu’il avait abandonné entre-temps.

Après Caligula (remix), Hamlet Director’s Cut et Dom Juan Uncensored, Beaupré propose sa relecture unique d’une œuvre classique. Pour cette Iliade, le metteur en scène a retenu la version d’Alessandro Baricco et, fidèle à sa signature, il place l’humanité au cœur de son travail : une humanité qui transcende sur scène la violence des hommes.

Crédit photos : Gunther Gamper

L’Iliade, au théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 6 décembre.

Texte révisé par : Johanne Mathieu