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Duceppe: Les liaisons dangereuses

Amour, cruauté et beauté

3.EricBruneauJulieLeBreton_Liaisons 0295©François Brunelle

Par Jean Baptiste Henry

C’est avec grand plaisir que je me suis rendu au Théâtre Duceppe, d’abord parce que Les Liaisons dangereuses est un de mes romans préférés et parce que j’étais particulièrement curieux et impatient de découvrir cette nouvelle mise en scène de Serge Denoncourt à l’affiche jusqu’au 17 mai.

Pierre Choderlos de Laclos a écrit son célèbre roman épistolaire en 1782  lorsque, militaire dans l’armée de Louis XVI, il s’ennuyait dans sa triste vie de garnison. Qu’en est-il aujourd’hui de la résonance de ce texte ?

Je me suis d’abord senti comme en dehors de l’intrigue. Il ne s’agissait pas d’ennui mais au contraire de la légèreté contagieuse, celle de Valmont , sa désinvolture… et puis, peu avant l’entracte, la cruauté dissimulée derrière cette légèreté désinvolte a commencé à agir, à retentir. Les lumières se tamisent et se teintent alors de couleurs mystérieuses, inquiétantes même. La violence des sentiments gronde. La musique résonne, poignante. Le jeu de séduction se transforme en rivalité meurtrière. Le combat de Merteuil contre Valmont. Mais aussi celui de Mme de Tourvelle contre Valmont, contre elle-même, contre ses sentiments mais elle cède. Ses mots, sa douleur, sa passion résonnent dans la salle. La mise en scène retranscrit d’ailleurs parfaitement cela, de par l’engagement physique qu’elle réclame aux acteurs, entre Tourvel et Valmont.

Après l’entracte, la cruauté, la sauvagerie dominent. Le décor s’efface afin de montrer le visage ignominieux si longtemps dissimulé de Mme de Merteuil. Reste la beauté, celle sacrifiée, de Mme De Tourvelle. Celle, terrible et envoûtante, de l’écriture. Celles de la manipulation, de la séduction et de l’échange épistolaire dont Choderlos Laclos fait un art. Pouvoir terrible, magique, des mots qui peuvent susciter le désir, la passion mais aussi détruire impitoyablement, et tuer : physiquement et socialement. Sans doute la plus cruelle des vengeances mais qui les laissera tous deux vaincus, sans que personne d’autre ne sorte victorieux de cette lutte impitoyable.

Les comédiens sont convaincants, voire époustouflants. L’interprétation de Magalie Lépine-Blondeau m’a donné des frissons avec ses tourments exaltés et ravageurs. Julie Le Breton qui joue toute la cruauté, l’assurance, l’impertinence, la perversité avec un aplomb, une diction, une facilité admirables. Kim Despatie est parfaite dans le rôle de l’ingénue Cécile de Volanges. Eric Bruneau campe un Valmont très différent de celui de Frears mais d’une sournoise désinvolture tout aussi redoutable..

Quant à savoir si cela résonne encore aujourd’hui… Est-ce si différent aujourd’hui dans notre société ? Seulement, les masques ne finissent pas toujours par tomber… Et puis les sentiments, leur violence, est évidemment intemporelle tellement bien retranscrite grâce à la lucidité cruelle de Choderlos de Laclos.

Crédit Photo: ©François Brunelle