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Combat entre un lumbersexuel et un efféminé

Philippe Dandonneau se moque des clichés

philippe-dandonneaudaniel-co%cc%82te© Daniel Côté

Par Sébastien Bouthillier

Dans J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened, le chorégraphe Philippe Dandonneau dépasse les représentations typiques de la masculinité et de la féminité en dotant d’un sens nouveau des images fortes de la culture populaire. Sauf que la femme adopte un comportement masculin et que l’homme viril expose sa vulnérabilité. Conçu en étroite collaboration avec Sébastien Provencher et Claudia Chan Tak, le trio dénonce le formatage de la société sur l’individu et sa pensée. Le chorégraphe de 32 ans développe maintenant son thème de prédilection en constatant les failles de l’homme. Il se livre à MatTv en entrevue.

D’où vient le titre de ton spectacle?

Une amie entichée d’un garçon a multiplié les rendez-vous avec lui, qui se contentait d’un verre, sans plus. Pourtant, avant chaque rencontre, elle se préparait « comme il se doit ». Puisqu’il ne se passait rien à son goût, elle a plaqué le mec avant de déplorer s’être rasée six fois les jambes pour rien !

Qu’est-ce qui fait que ta gestuelle est brute, physique et explosive ?

La dualité, le combat, la lutte illustrent la charge physique de ma danse. La confrontation est présente dans mon travail. Les vikings et Game of Thrones m’ont inspiré. Les rapports entre les individus sur scène sont brutaux; nous allons assez loin dans la brutalité qu’on impose autant à soi-même qu’à l’autre interprète. Dans J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened, les mouvement sont secs, le sol est en terre pour rappeler une arène de lutte turque.

Qu’est-ce qui contraste avec les mouvements poétiques du spectacle ?

Sébastien Provencher, Claudia Chan Tak et moi montrons la vulnérabilité de l’homme viril. Elle se remarque dans la lenteur de certains mouvements et les supports visuels la suggèrent. En quelque sorte, si la sensualité enrobe le spectacle, la confrontation en forme le cœur.

danse1© Courtoisie

Es-tu un lumbersexuel ?

Ce mot désigne le bucheron. J’en suis peut-être un par mon état d’esprit, mais mon style vestimentaire ne reflète pas cette mode, car le lumbersexuel est devenu un phénomène esthétique. Aujourd’hui, c’est un mouvement : celui de l’homme au look barbu, poilu, portant des chemises carottées et dont l’attitude dominante ou indépendante dépasse la simple apparence robuste.

Ce mâle t’a inspiré ?

En me renseignant sur les caractéristiques de l’homme viril, mes lectures ont convergé vers le poil et la barbe. Mais je me questionne à savoir si la pilosité est autant liée à la masculinité qu’on le croit. À l’inverse, un homme devenant chauve assiste-t-il à sa propre émasculation? La perte de cheveux représente un drame pour certains hommes, tandis que d’autres ne s’en soucient guère.

Tu contestes le lumbersexuel ?

Oui, je critique ce cliché d’homme en exposant sa vulnérabilité, mais sans l’objectiver pour en déconstruire une par une les caractéristiques. Nous soulignons plutôt les failles de l’homme qui tait et ravale ses émotions, par exemple. Selon moi, la masculinité et la féminité comportent leurs failles, car les traits typiques d’un genre paraissent vulgaires lorsque transposés chez l’autre genre.

À quelle conclusion tes recherches t’ont conduit ?

Je déplore qu’on ne se questionne pas sur les traits les plus communs à chacun des genres, notamment ceux présentés dans les médias. En inversant les rôles, une nouvelle lecture devient possible, voilà ce que nous réalisons grâce à la pièce.

Quelle nouvelle perspective sur l’homme aura le public après ton spectacle?

Je propose au spectateur de devenir auteur véritable de sa propre histoire, d’écrire son propre scénario. En quittant le théâtre, chaque spectateur conservera quelques images et des idées qui lui reviendront. Il continuera à y penser. C’est une invitation à ouvrir la discussion.

Puisque j’aborde la culture populaire, j’aimerais que les gens ouvrent leur esprit quant à la pluralité des formes que l’homme épouse et des regards qu’on a sur lui. Que la prochaine fois qu’un spectateur voit une image différente, il ne tienne plus pour acquis le jugement qu’il porte dessus. Pensons aux images d’un vidéoclip ou d’une série télévisée…

J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened présente donc des images si spectaculaires qu’elles percutent irrémédiablement l’œil ?

Oui, je retiens des images fortes qui existent dans notre quotidien, mais auxquelles le spectateur n’a probablement pas été confronté parce qu’il ne les recherche pas en priorité sur You Tube! Quand même, je puise la plupart dans les magazines. L’exemple de la lutte turque dans l’huile d’olive demeure le plus éloquent; je m’en sers pour critiquer la masculinité dans le sport. Forts et musclés, les pugilistes ont des comportements homo-érotiques et sensuels. Je souligne cette ambiguïté. Aussi, le spectacle évoque la femme urinant debout, apanage de l’homme.

Le programme annonce que le spectateur se libérera de ses pulsions. Lesquelles ?

Il s’agit d’une catharsis. En l’exposant devant des faits qui le divertissent, et qui transpirent du sarcasme et de l’ironie, subsiste un fond réflexif pour le spectateur. Le fait de passer un bon moment dans la soirée libère ses pulsions. Nous pouvons faire de la danse contemporaine qui comporte un message tout en divertissant le public.

jairasemesjambes6fois-philippe-dandonneau-gabriel_germain© Gabriel Germain

Comment te perçois-tu comme danseur?

Je n’ai pas l’apparence d’un danseur ordinaire, du casting usuel, comme si je ne trouvais pas ma place. En cherchant un interprète pour le rôle que j’occupe dans la pièce, j’ai réalisé qu’un autre ne pourrait pas aussi bien l’incarner que moi. Si on oublie le casting, j’aime être qui je suis. La physionomie de Sébastien Provencher est à l’inverse de la mienne, nous recherchons à éviter de se mouler à l’identique.

Devons-nous comprendre que c’est difficile de trouver des danseurs qui ne sont ni grands ni minces?

(Rires) Non, je ne pense pas, car c’est se référer à un cliché et je vous propose de regarder au-delà. Je tente de briser l’image idéale que l’homme devrait avoir. Il n’y a pas d’image idéale à avoir en danse comme il n’y en a pas ailleurs dans la société.

Pourquoi danses-tu ?

La danse est mon moyen d’expression, c’est le médium qui me correspond. J’allie danse et performance, en particulier dans ce spectacle-ci. J’apprécie l’aspect unique « one time deal » de la performance. Je suis retourné en danse à l’UQAM en 2010, six ans après le diplôme collégial dans cette discipline parce que j’éprouvais le besoin d’accomplir ce que j’aimais. Les années écoulées entre le cégep et l’université m’ont permis d’accumuler du vécu et de l’exprimer.

J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened, au théâtre La Chapelle jusqu’au 25 novembre.

Texte révisé par : Marie-Claude Lessard