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Christopher Priest, pionnier du steampunk

La face cachée de l’auteur

Photo: Utopiales 2014
Photo : Utopiales 2014

Beau pavé que cet Été de l’infini proposé par les éditions Le Bélial, spécialistes de la littérature de genre! Cinq cent pages consacrées à l’un des pères du steampunk, sous-genre de la science-fiction ancré à l’ère victorienne entre dentelles austères et révolution industrielle. Douze nouvelles, dont certaines inédites, s’étalant de 1970 à 2013, un essai de l’auteur au sujet de sa participation à l’adaptation cinématographique de son roman Le prestige et une entrevue-fleuve publiée initialement en 2005 dans la revue française Bifrost, où Christopher Priest se livre à une analyse et à une remise en contexte quelque peu sarcastiques (vous reprendrez bien une petite tape derrière le crâne, monsieur Moorcock?) de la fameuse New Wave SF des années 60-70!

Cependant, si la teneur des propos contenus dans cette entrevue donne une toute autre couleur, cette période charnière qui a vu la science-fiction des années 40-50 (caractérisée par la hard science d’un Arthur C. Clarke) détrônée par des écrits tournés vers l’expérimentation tant sur le fond que sur la forme (voir Brian Aldiss, Philip K. Dick, J.G. Ballard, etc.), la surprise vient aussi des courtes fictions compulsées dans l’ouvrage. Bien avant Paul Di Filippo, la plume élégante, quasi précieuse de C. Priest avait défriché les chemins encore flous de l’uchronie, de la gaslamp fantasy et d’autres fantaisies rétro-futuristes. Ainsi L‘été de l’infini (1970), qui donne son nom au recueil, sous des couverts de drame sentimental, décrit l’intervention des « geleurs » venus du futur, emprisonnés au sein d’éternels tableaux d’innocents quidams. De même, Errant solitaire et pâle (1979) s’appuie sur une prémisse éminemment romantique et un style maniéré pour développer une intrigue spatio-temporelle des plus alambiquées.

Affiche du film Le Prestige, photo: Fnac
Affiche du film Le Prestige, photo : Fnac

Un goût prononcé pour l’évanescent XIXe siècle qu’on retrouvera dans Les effets du deuil (2011) avec, cependant, un argument plus fantastique que la SF à travers l’archétype de la succube revisitée à l’aune des sites de rencontre sur Internet. Car Priest, fidèle à son idée d’une littérature de genre libre de règles et de carcans, n’hésite pas à flirter avec le fantastique, quitte à l’utiliser comme un leurre pour un récit qui s’avère au final n’être qu’humoristique (Le baron, 2013). Du fantastique à l’horreur, le pas est aisé à franchir et c’est tout naturellement que nous sont servies des boulettes de tumeurs en sauce, tandis que le passager d’un avion SS reste prisonnier du temps et de sa carlingue dans Haruspice (1998). Horreur encore avec La tête et la main (1972), satire du voyeurisme sadique validé par un prétexte artistique. Inspirée d’une légende urbaine des années 70, selon laquelle un artiste en vue de l’époque s’était livré à une performance d’art expérimental consistant à diverses mutilations sur son propre corps, la narration, aux limites du supportable, se fait critique d’une certaine dérive sociétale.

Car l’horreur est un choc intellectuel puissant qui, lorsqu’elle est utilisée à bon escient, agit comme un révélateur. Dans La femme dénudée (1974), une femme accusée d’adultère est condamnée à vivre nue pendant une année aux termes de laquelle elle devra traverser toute la ville, telle Lady Godiva livrée à la merci des hommes tout-puissants. Par un étrange phénomène de prescience littéraire, la nouvelle, écrite en 1974, est en prise directe avec la réalité que vivent nombre de femmes sous le joug des fanatismes… Situations poussées à l’extrême au sein de sociétés imaginaires qui nous poussent à réfléchir sur les dérives de nos propres sociétés, tel est l’un des ressorts fétiches de la SF post 70 pour qui l ‘univers et ses mystères se font la toile de fond de nos univers intérieurs. Aussi, lorsque C. Priest envisage les aventures extra-terrestres de soldats aux prises avec un ennemi terrifiant, ce n’est que par la connaissance du mode de pensée de ce dernier que pourra être considérée la victoire, et non par de classiques stratégies guerrières (Rien que l’éclat du soleil, 1970).

L’été de l’infini s’adresse donc tout autant au profane curieux que cette sélection de textes introduira aux grands classiques de Priest, comme La machine à explorer l’espace et Le monde inverti, qu’à l’amateur éclairé qui découvrira là une facette moins connue de l’auteur par ailleurs peu porté sur l’écriture de nouvelles. Un bel hommage rendu à l’écrivain britannique par une équipe d’authentiques passionnés.

Texte révisé par : Johanne Mathieu