un magazine web axé sur la culture d’ici

1984, Big Brother président

Le pouvoir écrase la liberté de pensée

photo-5_1984_credit_stephane-bourgeois

© Stéphane Bourgeois

Par Sébastien Bouthillier

– Es-tu coupable?

– Oui, le parti n’accuserait pas un innocent.

Nous vivons en 1984, car le temps se fige quand la liberté disparaît. Époque anticipée par George Orwell en 1949, le romancier a prédit la venue de Big Brother en s’inspirant des régimes dictatoriaux de Staline et de Hitler. Invisible et ubuesque, Big Brother annihile toutes les marges de libertés. Cet être omniscient épie des individus dociles, écervelés par la propagande du régime totalitaire qui prescrit le langage et la pensée.

Si Big Brother existe, il ne s’agit pas d’un être humain. L’expression désigne plutôt le système technologique déployé par les membres du parti intérieur, privilégiés face aux membres du parti extérieur, pour mener une guerre absolue aux ennemis. La fiction imaginée par Orwell devance d’une décennie environ l’avertissement du président Eisenhower, dans son discours d’adieu, contre le complexe militaro-industriel.

 

La comparaison entre Big Brother et le panoptique conçu par Thomas Hobbes dans le Léviathan, puis repris par Michel Foucault, s’avère possible. Aussi, la ressemblance entre Edward Snowden et Winston Smith (Maxim Gaudette) semble plausible. Le premier a dénoncé le système d’interception des communications par les agences de sécurité américaines; le travail du second au ministère de la Vérité consiste à effacer des archives et à réécrire l’histoire.

Le rapprochement entre Big Brother et Command de la série Scandal paraît idoine également, car nul ne parvient à maîtriser le système, même pas celui qui le commande. Dans cette veine, il devient superfétatoire de se demander ce que fera Donald Trump à la présidence; il faut plutôt se demander comment l’institution continuera à fonctionner avec lui comme porte-parole. Inquiétant. Pessimiste. Cynique.

La mise en scène sinistre et lugubre d’Édith Patenaude recourt à la surveillance vidéo qui projette des plans rapprochés de Winston Smith sur grand écran. Un technicien le filme de si près que la caméra obstrue ses gestes et le regard du spectateur, elle illustre que les individus savent qu’ils sont constamment observés. Pire, ils savent que la technologie pénètre leur esprit pour traquer tout crime de la pensée.

Mais c’est une mise en scène déconcertante parce qu’elle se rapproche du cinéma ou de la téléréalité, alors que le théâtre convie à voir les acteurs sans intermédiaire. À cause des images captées par la caméra et projetées sur l’écran, les émotions et même le jeu ne sont plus perçus comme au théâtre. Bref, la scène devient un hybride entre le théâtre et le plateau de télévision.  1984 est-elle révolue comme le pense la metteure en scène ou, sinon, comment s’extirper de cette torpeur?

1984, au théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 7 décembre.

Texte révisé par: Wendie Sambour